Sydney on The Rocks
King Cross laissé derrière nous, le Sydney Harbour Bridge nous tendait les bras. Le ciel ne parvenait pas à trancher entre gaieté et humeur chagrine. Cette valse hésitation lui valait des sueurs froides et nous assurait quelques coups de chaud. Au-dessus de nos têtes, les intrépides explorateurs du mastodonte de métal se cramponnaient à leur mousqueton, tentant avec plus ou moins de succès de passer leur vertige par-dessus bord pour ne plus goûter qu’au plaisir du vent dans les cheveux et à la majesté du panorama. Les pieds bien ancrés dans le bitume fondant au sol, nous les observions, fourmis encordées progressant à petits pas anxieux le long des côtes flottantes du pont, nos cœurs oscillant entre l’envie de les rejoindre et la terreur du vide.
Très vite, cependant, l’Opéra nous a rappelés à notre mission première : nous étions là pour l’admirer, que diable ! et non pour bayer aux ibis devant quelque menu fretin d’aventuriers d’opérette sans envergure. N’avait-il pas, lui, l’Opéra de Sydney, ravi le souffle de millions de personnes et ne continuait-il pas, jour après jour, par la grâce de ses courbes épurées et accueillantes, de fasciner le monde tout entier ? Fallait-il vraiment que nous jouions les touristes ébaubis devant un simple amas de ferraille et de boulons mal dégrossis (il vaut mieux le savoir, l’Opéra de Sydney a une légère tendance aux caprices de diva) ? Tout à la fois chafouins et conquis par tant de verve, nous avons donc entrepris d’observer plus attentivement l’incessant ballet de ferries, de touristes, de vagues et d’oiseaux se croisant tout au pied du monument.
Une longue pause rafraichissante sous une pile de pont (n’en déplaise à l’Opéra…) et déjà, Luna Park nous avalait tout rond. Il y avait de jolies nacelles métalliques patinées de sel et de vent, des miroirs déformants, des fanions claquant fièrement au vent, des batailles de bombes à eau et des chapiteaux chatoyants. Il y avait des yeux brillants, des enfants ravis et des mouettes gourmandes. Très vite, il y a aussi eu les premières gouttes de pluie, une cavalcade en direction du quai et un embarquement dans le premier ferry en partance.
Le soleil timidement revenu, The Rocks, ses petites rues pentues, son marché dominical mêlant rossignols d’un suave mauvais goût et petits trésors discrets (avec un très net avantage aux premiers, il faut bien l’avouer) n’attendaient plus que nous. La promenade bouillonnait de badauds et mélangeait, au petit bonheur la chance, en un joyeux fatras lexical, des mots de bien des langues. The Rocks tout doucement devenu Darling Harbour, nos pas nous ramenaient progressivement vers Chinatown et Central Station. En cours de route, Victoria, son sceptre, sa statue et sa galerie marchande offraient un peu de répit à nos pieds malmenés et quelques éblouissements supplémentaires à nos yeux ravis.
Un ravitaillement fort bienvenu rapidement avalé (on en reparle très vite) et nous retrouvions notre bienaimé Greyhound pour, après quelques nouvelles heures de ronflements collectifs, agrémentés cette fois de monologues téléphoniques en tamoul, nous glisser à nouveau avec bonheur dans la vie calme, tranquille et sereine de notre petite Canberra. Néanmoins, à peine installés dans le bus, notre première parenthèse de Sydney-siders pas encore tout à fait refermée, la prochaine se programmait déjà… et elle s’annonce dès à présent fort occupée !