Mon bel eucalyptus

(Green Patch Beach, NSW, 01-10-2012)

Il est là, il est toujours là, lui et ses cicatrices, lui et son air bougon, ses feuilles qui chavirent pour le moindre souffle de vent et ses racines qui solidement plongées dans la roche, qui effleurant le sable. Il est là, oui, toujours. Pas qu’il puisse vraiment retrousser ses racines et aller voir plus loin si l’eau est plus douce ou les marées moins sauvages, certes. Mais il est là, toujours, à la façon qu’il a d’incliner ses branches au-dessus de la crique qui file et s’effrite sous les vagues et les pas, au murmure qu’il laisse courir dans le vent, au chuchotis qui frise et ondule de ses frondaisons quand le soleil montre son nez, au frisson qui le parcoure quand les nuages s’accumulent, aux branchettes minuscules qui le hérissent comme autant d’épis dressés sur une bouille encore engluée dans les brumes du petit matin mal réveillé.

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So it’s storming on the lake

Tanguer, un peu. Tanguer sous le poids d’une nouvelle qu’on ne redoutait même pas. La soupeser du regard. Grimacer soudain. Soupirer comme on retient sa respiration. Sourire parce qu’il faut bien.
Continuer.
Parcourir quelques jours en apnée, évoluer dans une brume de coton. Se laisser envahir par la colère. De ces colères impuissantes qui ne servent qu’à tenir debout. De ces colères qu’on convoque pour ne pas pleurer.
Se blottir dans ses bras, râler, tempêter, taper du pied, serrer les poings. Et puis s’excuser. Et le serrer un peu plus fort, en reniflant avec vigueur. Parce qu’il est là, toujours.
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Drowning in the fear?

(Les jambes allongées au soleil, on ne parlait pas vraiment avec Charlie…)

Un soir de printemps. Un soir de printemps qui sent bon l’été tout proche, un soir de printemps 1997. Un lundi soir.

Un lundi soir de printemps quelque part au nord de Marseille, dans un lycée melting-pot. Un soir de répétition de théâtre. La première est pour bientôt, l’année touche à sa fin.

Un soir de répétition dans la salle de théâtre du lycée. Il est dix huit heures, les couloirs se sont presque vidés. Roberto Zucco vient d’arriver, la gamine le suit de près. La pute, le frère de la gamine et puis sa sœur aussi, les badauds, les flics, un autre Roberto Zucco, ils sont tous là.

Ils sont tous là, chargés de leurs personnages mais aussi et surtout de leurs espoirs, de leurs racines, de leurs différences, de leurs ailleurs. Ils sont tous là et c’est au moins trois continents qu’ils ont emmenés avec eux, une multitude d’accents, de traditions, de souvenirs. Toute une palette d’origines et de vécus rassemblés autour d’une même passion pour la scène. De cette passion qui fait rester tard au lycée, tant pis pour le bus qu’on ratera, tant pis pour les copains, tant pis pour le reste. Cette passion qui les fédère, eux et monsieur C., monsieur C. qui sait si bien leur faire toucher du doigt les merveilles du théâtre contemporain. Monsieur C. qui leur fait découvrir le théâtre engagé, un théâtre qui ne soit pas que divertissement, un théâtre qui se fasse réflexion. Un théâtre porteur de luttes et d’espoirs, un théâtre qui revendique et qui proteste.

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Te souviendras-tu ?

Te souviens-tu ? Te souviens-tu, mon amour ? Te souviens-tu de nos espoirs, de ces espoirs trop grands, si grands qu’on ne pouvait que les saisir à pleines mains ? Et de ces peines, ces peines plus grandes encore, si immenses qu’on s’y est perdus, un peu ?

Oh, souviens-toi, mon amour, souviens-toi.

Te souviens-tu des nuages qui filaient loin de nos plaines asséchées, du chant du vent dans les herbes craquantes de chaleur et du murmure de la terre qui s’écaille sous les assauts d’un ciel chauffé à blanc ? Te souviens-tu de l’odeur piquante, chaude et poivrée des eucalyptus qui explose sur la langue ? Peux-tu encore sentir la caresse mordante de la poussière sur ta peau, le souffle d’air brûlant qui emportait avec lui nos rêves de pluie ? Te souviens-tu de la plainte des champs de blé crissant de soif, te souviens-tu de ces aubes tout juste écloses qui scintillaient, déjà vibrantes de chaleur ? De ces étincelles qui naissaient de rien, de ces étincelles insatiables qui grandissaient soudain et dévoraient tout sur leur passage ? De ces immensités exsangues, saupoudrées de cendres, de ces immensités dévastées, épuisées, où la vie renaissait pourtant déjà ?

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Ernest le liseur d’étoiles

(Mungo NP, NSW, 10-10-2011)

Comme tous les matins depuis six mois qu’il a charge de couvée*, à peine levé, les plumes encore tout ébouriffées d’une nuit entrecoupée de réveils intempestifs de sa progéniture, Egelmond** s’extirpe du nid familial et jette un œil au ciel en baillant à s’en décrocher le bec. Après plusieurs jours humides et maussades, la brume s’est enfin envolée vers des contrées plus fraîches. Parfait, se dit-il en s’étirant les pattes et en se grattant les ailes avec bonheur. La journée sera belle et les petits râleront moins.

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D’aurore et de grenats

(Red Rocks, NSW, 07-09-2011)

La rosée s’étend à petits pas pressés sur des brins d’herbe hébétés de sommeil. Les oiseaux baillent et s’étirent, les rayons de soleil défroissent leurs lueurs aubalescentes. Le camping dort encore, bercé par le ronron des générateurs. Tout est si paisible qu’on entendrait presque les étoiles glisser doucement vers le sommeil. Ils ne savent pas ce qu’ils ratent, tous ces gens qui se pelotonnent dans leur couette et s’accrochent à leur oreiller, te dis-tu en empruntant le sentier que tu connais si bien. Si bien qu’il n’y a pas un arbre dont les cicatrices ne t’évoquent un souvenir de tempête, de grand vent ou de sécheresse, pas un caillou dont tu ne connaisses la plus petite arête. Si bien que tu sais exactement combien de pas te seront nécessaires pour apercevoir les premières vagues du matin. Et tu les comptes, ces pas, comme toujours, comme lorsque tu étais enfant et que tu pestais quand il fallait sortir du lit avant l’aurore pour aller admirer le soleil qui n’allait pas tarder. Oh ! tu étais ravi de ces quelques instants passés juste tous les deux, chapardés aube après aube aux longues journées. Mais tout de même, quelle drôle d’idée que de se lever si tôt, le sable ne risquait quand même pas de s’envoler !

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Le veilleur du Pain de Sucre

(Sugarloaf Point, NSW, 05-09-2011)

Au village, tout le monde me connaît. Les vieux pêcheurs qui raccommodent leurs filets une cigarette fichée au coin des lèvres me saluent en souvenir des jours anciens. Les plus jeunes considèrent que je fais partie des meubles. Et finalement, oui, je fais sans doute partie des meubles. Des vieux meubles plus très utiles, qu’on garde parce qu’on ne les remarque plus vraiment. Et puis parce que malgré tout, on les aime bien, ces vieux meubles moulus et couturés de traces de vie accumulées.

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On l’appelait Birdy

(Hat Head, NSW, 06-09-2011)

Garry se lève tous les matins dès potron-minet. Depuis des années. Depuis qu’il est revenu vivre à Hat Head. C’est qu’il était parti de son petit bout de plage au bord du monde, parti vivre à la capitale avec sa femme, perdu dans les brouillards hivernaux, parti surtout bien loin de la mer. Heureusement, il y avait les oiseaux, qu’il a alors commencé à photographier tant et plus.

Et puis, quand le petit groupe de cellules qui s’était follement emballé a eu raison des années de lutte qu’ils avaient mené à deux, quand il s’est brusquement retrouvé seul dans une maison qu’il ne reconnaissait plus, cerné par les échos de temps plus doux, il est revenu. Il a retrouvé la plage de son enfance, ses banksia, sa rivière aux berges piquetées de mousse et ses oiseaux. Comme un trait d’union entre ses vies. Entre Canberra et Hat Head, entre Rose et Sally.

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Dead man walking

Se pencher, enfouir ses mains dans les épis qui bruissent au vent, compter. Se relever, noter quelques chiffres. Embrasser l’horizon comme on supplie.

Faire quelques pas, se baisser à nouveau et recommencer à compter, coupé du monde. Laisser vagabonder ses pensées, perdu au milieu de l’immense plaine, les pieds fichés dans une terre riche de promesses et vouloir y croire encore. Espérer une grâce, ne pas réussir à passer outre ce petit soupçon d’espoir qui s’accroche malgré tout, malgré ce que dicte la raison. Et ne pas vouloir laisser s’éteindre cette petite étincelle qui veut croire un sursis possible, cette étincelle de rien qui vacille de minute en minute.

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