Un barrage contre le Pacifique (ou presque)

(Talbingo Dam, Kosciusko NP, NSW)

Un dimanche de fin d’été, sur la Snowy Mountains Highway. Les rayons de soleil jouent à cache-cache avec les nuages dans les frondaisons de fougères. Les grillons, ivres de chaleur et d’essence d’eucalyptus crissent à s’en faire flamber les élytres. Quelques petits ruisseaux glougloutent de joie tout au bord de la route. Les eastern rosellas et les gang gang cockatoos s’invectivent d’une branche à l’autre, se frôlent de la plume et se menacent du bec. Les graminées ploient de fatigue, éreintées par des épis trop chargés. La route s’incurve, se penche et s’élance dans une vertigineuse descente, la forêt bavarde laisse place aux champs dorés. Quelques tours de roues supplémentaires et Talbingo Dam nous ouvre les bras, offrant à nos yeux ravis son eau limpide et sa petite ville nichée tout contre la rive, comme un reflet du village englouti en 1970 pour les besoins du Snowy Mountains Scheme, immense réseau de barrages et de stations hydro-électriques disséminé dans Kosciusko NP. Une construction étalée sur 25 ans, employant près de 100 000 personnes (dont près de 70% de migrants), brassant 32 nationalités, donnant naissance à l’un des plus grands ensembles hydro-électriques mondiaux et réussissant la prouesse d’enfouir 98% des infrastructures nécessaires.

Talbingo ? Une grand-rue, quelques campings, de mignons jardins débordant de fleurs et d’immenses tricots de fils électriques partant à l’assaut des montagnes et de la vallée. La grand-rue se mue bien vite en une petite route de campagne serpentant tout contre la rive du lac de retenue. Au détour d’un virage, un Niagara de béton et de métal apparaît sans crier gare. Les grillons laissent place au bourdonnement de milliers d’essaims d’électrons, l’air crépite et étincelle. Tumut 3 ne se lasse pas de vanter sa puissance et de se faire admirer. D’un petit haussement de turbine complice, il invite les visiteurs à se lancer à l’assaut de la colline, afin de prendre la juste mesure de sa majesté. La route est parsemée de lyrebirds hésitant entre timidité et estomac gargouillant, le soleil plonge au ralenti vers la suite de sa balade quotidienne. Entre deux eucalyptus, les 162 mètres du barrage se dévoilent enfin, mur d’eau, de béton et de volonté humaine. Pas un bruit, pas un mouvement, le sommet tout entier semble attendre notre approbation. La surface de l’eau est à peine ridée par les rames minuscules de quelques canoës lilliputiens. Un simple regard embrassant la vallée suffit pour décider qu’à n’en pas douter, le Snowy Hydro mérite amplement son statut, ardemment revendiqué, de fierté nationale.

Tumut 3 laissée derrière nous, la route de Tumut nous tend les bras. Les rives de Talbingo Dam s’étirent de plages en marécages, de voiliers en pédalos ou en kayaks. Les champs se dorent aux rayons de fin du jour et frissonnent sous la brise. Moutons et vaches paissant sereinement se parent de manteaux moirés et scintillants. L’horizon tout entier, bardé de collines délicatement polies, baigne dans une douce brume dorée. Bientôt, les premières étoiles apparaissent, monts et eucalyptus s’émoussent, petites silhouettes fantomatiques perdues dans la nuit qui s’étend. Il est temps de filer vers Gundagai, Yass puis bien vite Canberra, emportant avec nous un peu de poudre d’or et de beauté féroce.

2 thoughts on “Un barrage contre le Pacifique (ou presque)

    • lagrandeblonde Post author

      C’est LeGB qui prend les photos, a part une ou deux de temps en temps (et la difference se voit tout de suite…). Un qui immortalise, une qui cause, les roles sont immuables…

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