Retour à Jervis Bay

La plage résonnait des éclats de rire ravis d’un petit garçon lancé hardiment à l’assaut de ses premières glissades. La planche, tirée tambour battant par un papa galopant, ébouriffait les vagues qui se perdaient en petits clapotis, mi-réprobateurs mi-attendris. Tout près, un petit fichu fleuri coiffait une petite mine décidée, presque ronchon, dont le froncement de sourcils traduisait le peu de cas que les petites jambes dodues faisaient de ces grains de sable qui se faufilaient désagréablement entre les orteils. Un peu plus loin, une bagarre de boules de sable faisait rage, un match de cricket de plage battait son plein et un cerf-volant flottait paresseusement, bercé par une brise plus discrète encore qu’un infime chuchotis. La plage tout entière barbotait, scintillante, dans une tendre atmosphère de fin d’été. Les feuilles du vieil eucalyptus frissonnaient de contentement, l’écorce elle-même semblait se défroisser sous la douce caresse des rayons du soleil. Elle s’était, cette année encore, installée à son pied, un petit sourire sur les lèvres, une main posée sur le tronc rugueux.

Des années auparavant, si nombreuses qu’elle en avait perdu le compte exact, arrivés par hasard sur la plage, ils s’étaient installés sur un petit rocher léché par les vagues, couvés par un jeune arbre frêle ayant posé ses racines sur un surplomb rocheux, loin, bien loin de la forêt et de sa terre si riche. Ils avaient murmuré des encouragements à l’eucalyptus entêté, avaient observé les baigneurs, ri aux cris de joie des enfants pataugeant dans le petit bassin naturel, avaient sauté dans les vagues et s’étaient promis de revenir chaque année à la fin février pour saluer les progrès du petit arbre et, qui sait ? lui présenter les enfants qui viendraient. Les années passant, le petit arbre poussait, déterminé à triompher du sable et des rochers inhospitaliers. Les enfants étaient arrivés, un, puis deux, puis trois. Les éclaboussures et les éclats de rire, les premières brasses maladroites et les plongeons intrépides rythmaient dorénavant les retrouvailles.

Doucement, le petit arbre avait gagné ses galons de parasol majestueux. Les enfants avaient déserté le rendez-vous de fin d’été, construisant peu à peu leurs propres ancres à souvenirs. Ils étaient à nouveau deux, main dans la main, riant des cris de joie et observant avec une tendresse nostalgique les premiers pas hésitants des jeunes parents. Les fins d’été se succédant, l’arbre, dont le tronc s’enrichissait des stigmates du temps et des intempéries, voyait leurs chevelures grisonner, leur dos se courber et leurs visages se rider. Les doigts s’étaient tordus, le pas était moins vif mais le sourire demeurait éclatant, se chargeant chaque année un peu plus de tendresse et de complicité.

Leur dernière visite avait été très brève. La pluie martelait les vagues et un vent grognon charriait des bouquets d’algues piquantes sur le sable. Essoufflé, chancelant, il avait posé une main tremblante sur le tronc de l’arbre et avait souri très doucement quand elle avait glissé sa main sous son bras, lui murmurant qu’il n’était pas raisonnable de rester, qu’il leur fallait rentrer au plus vite.

Cette année, l’arbre les avait guettés, secouant ses branches en un petit mouvement d’angoisse. Et puis il l’avait aperçue, petite silhouette frêle approchant doucement, semblant apprivoiser un paysage pourtant si familier. Arrivée sous l’ombre accueillante, elle avait caressé de la main le grand tronc tourmenté, lui avait chuchoté « Tu vois, je suis venue, je n’ai pas oublié » et s’était assise sur le petit rocher devenu si confortable à force d’érosion. Un petit garçon partait à l’assaut de ses premières vagues, un fichu fleuri surmontait une petite bouche ravie et pleine de sable, une balle de cricket s’envolait par-dessus les vagues. Les yeux au loin, baignés de larmes, les pieds bercés par de petites vagues clapotantes, elle souriait.

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