(Katoomba Falls,  NSW, 12-06-2011)

Le réveil avait sonné aux aurores, plein d’entrain et de balades merveilleuses à venir. Las, fort emballées par la beauté du lieu, les longues brumes de la veille avaient convié brouillards, nuées, nuages et bruine à la fête, engluant Katoomba et ses environs dans une purée de pois aussi dense que gelée. Déguisés en improbables hybrides d’oignon et de Bibendum, affublés de ponchos de pluie multicolores crissant au moindre geste et de parapluies exposant leurs baleines au plus petit souffle de vent, la foule des visiteurs s’approchait avec espoir et tâtonnements du Queen Elizabeth Lookout puis rebroussait bien vite chemin, soufflant sur des doigts engourdis, tapant des pieds pour tenter de se réchauffer et évacuer une certaine déception. Pas la moindre Sœur de roche à se coller sous la pupille, point de brume bleutée s’envolant en volutes légères par-delà la canopée argentée. Non, point de brume mais une épaisse couverture grise, collant aux yeux et à la peau, calfeutrant soigneusement le paysage et ricanant tout bas dans les frondaisons des fougères, ravie de ce tour pendable joué aux promeneurs.

Le sentier menant des Three Sisters aux Katoomba Falls se devinait à peine, écrasé de gouttelettes suspendues, foulé au pied par les nuées immenses qui se jetaient à l’assaut de la moindre roche, de la moindre feuille osant encore émerger d’un paysage transformé en balle de coton ouateuse, imprécise et mouvante. Les points de vue se succédaient, vaillantes petites pancartes entretenant la mémoire de lieux magnifiques perdus rocs et arbres, emportés par une lame de flou. Et puis, parfois, au détour d’une volée de marches, un éperon rocheux se dressait, brandissant fièrement ses arêtes si nettes découpées sur le ciel soyeux comme un défi au vent au vent et aux nuages, les enjoignant d’oser l’envahir s’ils s’en sentaient la force. Une bourrasque sifflante suffisait à réduire en un instant au silence le téméraire, soudainement noyé lui aussi, ses arêtes gommées, tout entier effacé sous une vague de brume écumante.

Bientôt, le glougloutement murmurant et ravi des Katoomba Falls perçait la nuée, les aiguilles de filao assortissaient leurs gouttelettes perlées et les parois rocheuses moussaient, verdissant de joie. Une vingtaine de marches emmitouflées de brume, un gué tout de sable et de galets et la cascade dévoilait ses eaux grisées de froid et de vitesse. Les fougères trémoussaient des racines sous la chatouille des gouttes qui filaient de terrasses en piscines menues, rebondissant sur les coussins rocheux lissés par leurs aïeules depuis des générations. Quelques insectes flottaient paresseusement au rythme du courant, inconscients de la course des nuages au-dessus de leurs pattes, ignorants de la danse des eucalyptus aux branches tremblant sous la brise, à peine curieux de la pluie de feuilles qui se répandait, parsemant le bassin de radeaux de chlorophylle bien vite emportés, tourbillonnant follement de chute en cascade.

La boue régnait en maître sur les derniers pas du sentier, distribuant semelles de plomb et cicatrises terreuses aux promeneurs qui refusaient de céder à la dictature de la brume. Fourbus, crottés et gelés mais par-dessus tout ravis, il ne restait plus qu’à rebrousser doucement chemin, dépourvus de paysages grandioses mais comblés de pépites minuscules, d’infimes détails merveilleux et de bonheurs miniatures. Le souffle coupé saurait bien attendre que la brume et sa magie s’estompent.