Madeleines de Cook


Toute petite déjà, elle ramassait, collectionnait, entreposait et chérissait des trésors minuscules, de ces trésors n’ayant pour toute valeur que celle que l’œil voulait bien leur offrir. Un caillou veiné de blanc et de gris pâle, une brindille tordue devenant boa de bois, une plume perdue au milieu des prés, un amadouvier joli décrété masque inca, quelques mignonnes étoiles de mer fossiles, une porcelaine cueillie en bord de plage, une pomme de pin colonnaire, des mues de serpent ou de cigales délicatement détachées de leur gangue d’herbes sèches. Un « chapeau chinois » piqueté de traces de sel, aux arêtes usées par la course incessante du sable sur son dos, de fines parcelles d’écorce sillonnées d’arabesques brodées à petits points minutieux par des insectes gourmands, quelques boules de résine au travers desquelles regarder les rayons du soleil dégringoler en une multitude d’étincelles. Un éclat de roche rouge intense, quelques menus galets roulant au creux d’un ruisseau, tout irisés d’eau sifflotante. Des pelotes de chouette précautionneusement déroulées et par poignées, des graines aussi bizarres que biscornues.

Autant de merveilles tendrement chéries, admirées farouchement et délicatement saisies, tout d’abord confiées à des mains plus grandes, d’un petit coup d’œil réclamant approbation et exclamations de rigueur. Puis bien vite portées avec soin, blotties au creux du sac à dos ou de la poche. Merveilles dérisoires couvées jalousement du regard, soignées avec bonheur et attention, tournées, retournées et observées avec passion. Merveilles insignifiantes emmenées de saut de puce en bond de cabri comme autant de petites bouées balisant les années passant de bonheurs infimes, trésors de rien tout emplis de mémoires douces, minuscules morceaux d’anciens ébahissements empochés pour mieux appréhender les découvertes à venir.

Les années ont passé, les kilomètres ont défilé, la chasse aux trésors de rien du tout est restée. Une plume de crête de cacatoès, de kookaburra ou de galah, un fruit de banksia duveteux et biscornu, quelques grains de filao. Un coquillage repoussé par les vagues au creux des dunes, une feuille d’eucalyptus dentelée, poinçonnée avec zèle par une armée de mandibules goulues. Une poignée de menus galets lissés par un océan entêté, un morceau de bois flotté et une tranche d’écorce fibreuse et moelleuse comme une balle de coton. Une autre plume, de rosella cette fois et d’autres grains de filao. Et gravée bien soigneusement entre deux souvenirs, la carte marquant l’emplacement de chacun de ces trésors lilliputiens.

Les années passant, qui sait ? ses mains deviendront peut-être un jour coupelle à bonheurs pour d’autres yeux qui embrasseront eux aussi les merveilles fleurissant à portée de vue et dénicheront les délicats éclats d’autres trésors à venir.

8 thoughts on “Madeleines de Cook

    • lagrandeblonde Post author

      Merci ! Plus le temps passe, plus je suis sensible a ces petits bonheurs… Ca doit etre l’arrivee des cheveux blancs !

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  1. Aux Pays des Hellènes

    Que de jolis souvenirs tu me rappelles….tous mes trésors se sont perdus au fil des déménagements…Bois délavé, verre dépolis que je portais comme des bijous, les coques d’oursins…. J’avais , presque, oublié la feuille d’Eucalyptus dentelée…
    Merci pour ton joli billet, ta belle écriture et cette description si sensible…
    Les beaux souvenirs se construisent de petites choses…

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    • lagrandeblonde Post author

      Merci ! J’ai eu la chance, il y a quelques mois, de retomber au gre d’un demenagement sur des petits tresors de mes dix ou douze ans. Et c’etait tres etrange de sentir remonter le souvenir de ces petits riens ramasses ca ou la…

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