Comme le grain de sable

(Seal Rocks, NSW, 05-09-2011)

L’océan se dérobait à la vue et jouait à cache-cache dans les frondaisons. Tout n’était que lacs et étangs entrelacés, eucalyptus et sous-bois verdoyants, trilles d’oiseaux perchés et bribes de chansons portées par la brise. La route rétrécissait mètre après mètre, cahotant et hoquetant du bitume. La forêt tout entière se drapait de clair-obscur et de feuilles tombantes. Bientôt, très bientôt même, nous promettait la carte, Seal Rocks dévoilerait enfin sa plage qui nous avait fait miroiter des jours durant ébahissements et écarquillements d’yeux à venir.

Encore quelques arbres, un éblouissement, un clignement d’œil et une immense écharpe de sable doré piquetée de roches et ourlée de vaguelettes. La plage était déserte et déjà, nos cœurs chaviraient, submergés par le ressac. Quelques pas comptés, mesurés, à peine esquissés pour ne pas effaroucher l’instant et nous étions au bord de l’eau, les yeux perdus au beau milieu de cette immensité minuscule qui nous ouvrait les bras, caressant les reliefs lointains et les vagues tremblotantes qui s’échouaient à nos pieds.

Les filaos entonnaient une ancienne complainte tissée de nostalgie et de souvenirs perdus. Le sable chantait lui aussi, fredonnant sans relâche cette mélopée envoûtante que seules les plages au grain de farine connaissent. Quelques branches, quelques feuilles et quelques graines roulaient dans le courant, ne sachant pas trop, du rivage ou de la haute mer, quel refuge choisir. La marée montait et l’écume s’enhardissait, bousculant galets et coquillages, creusant des tourbillons de sable au bord des rochers, forgeant et sculptant les falaises à l’envi.

Déjà, certaines roches se rangeaient à nouveau en ordre de bataille, soigneusement alignées depuis la nuit des temps, guettant inlassablement, farouchement, les déferlantes à venir, vigies infatigables veillant jalousement leur petit bout de terre posé aux confins du monde. Les arbustes tarabiscotés, façonnés par bien des tempêtes, bousculés par les innombrables soupirs du large, se lançaient eux aussi dans ce combat inégal, cramponnés de toute la force de leurs racines à leur minuscule lopin de sable. Et ils semblaient murmurer pour nous les récits épiques de la bataille sans cesse réinventée  livrée aux marées galopantes.

Un aigle paressait dans les courants loin au-dessus de nos têtes, couvant son domaine d’un œil tendre et aiguisé, témoin quotidien du ballet immuable mêlant la terre et l’océan. L’air se figeait, cristallisé, résonnant de ce silence si particulier fait de craquements de branches, de murmures d’écume, de chuchotis de sable, de sifflement de vent, de gazouillis de coquillages et de pépiements de lorikets.

Et puis, brusquement, un claquement de portière, quelques cris d’enthousiasme (et une dispute au sujet d’une obscure serviette de plage brutalement disparue) et l’instant de rien se dispersait en éclats minuscules. La magie s’envolait en volutes discrètes, l’aigle s’éloignait d’un battement d’ailes et les arbustes se taisaient à nouveau. Sugarloaf Point nous attendait, il ne faudrait pas trop traîner en route. Qui donc pouvait bien savoir ce qui nous attendait de l’autre coté des falaises ?

2 thoughts on “Comme le grain de sable

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