Dead man walking

Se pencher, enfouir ses mains dans les épis qui bruissent au vent, compter. Se relever, noter quelques chiffres. Embrasser l’horizon comme on supplie.

Faire quelques pas, se baisser à nouveau et recommencer à compter, coupé du monde. Laisser vagabonder ses pensées, perdu au milieu de l’immense plaine, les pieds fichés dans une terre riche de promesses et vouloir y croire encore. Espérer une grâce, ne pas réussir à passer outre ce petit soupçon d’espoir qui s’accroche malgré tout, malgré ce que dicte la raison. Et ne pas vouloir laisser s’éteindre cette petite étincelle qui veut croire un sursis possible, cette étincelle de rien qui vacille de minute en minute.

Rentrer crotté, fourbu, une boule d’espoir et d’angoisse dansant au fond de la gorge. Brancher son ordinateur bien vite, vouloir croire à l’impossible jusqu’au bout. Apprendre ce que l’on sentait déjà comme on est frappé par une immense bourrasque et en rester sonné. Sentir son cœur se serrer et pleurer l’espoir envolé.

Marteler la douche de coups de poings rageurs, noyer ses larmes pour ne pas être emporté par le chagrin. Laisser s’échapper un sanglot, ce sanglot qui faisait tressauter la gorge depuis si longtemps et qui s’était déjà échappé quelques mois plus tôt, à l’annonce de la Cour Suprême refusant la tenue d’un nouveau procès.

Troy Davis, après 22 ans passés dans le couloir de la mort, a été exécuté le 21 septembre. Lawrence Brewer également. Tout comme Derrick Mason le 22. Comme le seront certainement David Jordan, Manuel Valle, Robert Flor et tous les autres dont la date d’exécution a été fixée.

Aujourd’hui encore, aux Etats-Unis, en Chine, au Japon, en Iran, au Vietnam, comme dans 19 autres pays, des exécutions ont lieu (au moins 527 en 2010 selon le rapport publié par Amnesty International). 67 pays continuent à prononcer des condamnations à mort (au moins 2024 en 2010). Aujourd’hui encore à travers le monde, on tue au nom de la justice. Et parfois même, on s’en vante, comme Rick Perry, sénateur du Texas revendiquant fièrement 234 exécutions depuis le début de son mandat en 2000.

Depuis cinq ans, Troy Davis était devenu une icône de la lutte contre la peine de mort. Son histoire aura été un raz-de-marée sensibilisant et mobilisant des millions de personnes à travers le monde, exposant la cruauté de ce châtiment et bousculant les certitudes de certains partisans de la peine capitale. Troy Davis ne sera pas oublié mais il ne doit pas être le seul. Lawrence Brewer non plus, aussi monstrueux qu’ait été son crime, n’aurait pas dû être exécuté. Aucun crime, aussi atroce soit-il, ne justifie la peine de mort. Les couloirs de la mort ne peuvent pas exister pour certains et pas pour d’autres. Ils ne doivent simplement pas exister.

Troy Davis, Lawrence Brewer et Derrick Mason ne seront sans doute pas les derniers condamnés à être exécutés. Mais peut-être auront-ils permis de faire évoluer un peu plus les consciences. Pour qu’enfin, un jour, la justice n’ait plus de sang sur les mains.

Edit : pour aller un peu plus loin, The Last Meal Project, un travail bouleversant réalisé par Jonathon Kambouris.

2 thoughts on “Dead man walking

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