D’aurore et de grenats

(Red Rocks, NSW, 07-09-2011)

La rosée s’étend à petits pas pressés sur des brins d’herbe hébétés de sommeil. Les oiseaux baillent et s’étirent, les rayons de soleil défroissent leurs lueurs aubalescentes. Le camping dort encore, bercé par le ronron des générateurs. Tout est si paisible qu’on entendrait presque les étoiles glisser doucement vers le sommeil. Ils ne savent pas ce qu’ils ratent, tous ces gens qui se pelotonnent dans leur couette et s’accrochent à leur oreiller, te dis-tu en empruntant le sentier que tu connais si bien. Si bien qu’il n’y a pas un arbre dont les cicatrices ne t’évoquent un souvenir de tempête, de grand vent ou de sécheresse, pas un caillou dont tu ne connaisses la plus petite arête. Si bien que tu sais exactement combien de pas te seront nécessaires pour apercevoir les premières vagues du matin. Et tu les comptes, ces pas, comme toujours, comme lorsque tu étais enfant et que tu pestais quand il fallait sortir du lit avant l’aurore pour aller admirer le soleil qui n’allait pas tarder. Oh ! tu étais ravi de ces quelques instants passés juste tous les deux, chapardés aube après aube aux longues journées. Mais tout de même, quelle drôle d’idée que de se lever si tôt, le sable ne risquait quand même pas de s’envoler !

Depuis longtemps maintenant, tu ne pestes plus, tu ne conçois plus un matin loin de la crique qui s’ébroue et éparpille aux quatre vents les dernières poussières de la nuit. C’est pour elle que tu es revenu, pour elle que tu as laissé tes envies d’aventures à la patère. Tu pensais que de grandes choses t’attendaient, tu t’étais juré, enfant, que la vie ne serait faite que d’ailleurs. Mais nulle part tu n’as pu oublier les pourpres, les ors et les écarlates du sable qui s’éveille sous tes pieds. Nulle part les brumes n’ont eu la même douceur, non. Il y a bien des ciels plus beaux mais aucun n’a su t’émouvoir comme celui-ci, celui qui sait si bien embraser la mer et embrasser les nuages dans une seule vague de tendresse hardie, celui qui ne se lasse pas de jouer avec les rochers semés sur sa route pour les envelopper de grenat, d’indigo, de sienne et de rose tendre. Nul autre filao n’accompagne mieux les soupirs du vent que celui qui s’est installé il y a si longtemps tout au bord de la falaise, celui qui a grandi avec toi, celui dont les aiguilles te saluent en frémissant, celui pour lequel tu trembles lorsque reviennent les tempêtes. Même les coquillages, lissés, usés, ébréchés, maltraités par les marées ont ici un éclat incomparable. Ils ne murmurent que pour toi, susurrant à ton oreille des histoires héroïques de crabes minuscules et de patelles plus que têtues.

Le soleil s’est hissé sur l’horizon et il entreprend d’escalader les nuages à la force de ses rayons. Il te semble deviner au loin les échos des premiers réveils. Un dernier regard posé tendrement sur la plage encore déserte et tu reprends ce chemin tant aimé, ralentissant le pas au fur et à mesure que le murmure des vagues s’estompe. Tu croises déjà les premiers réveillés qui se pressent vers la petite crique qui ne t’appartient plus. Tu sais qu’ils arriveront trop tard, que la magie ne fera au mieux que les effleurer. Mais tu souris à leur impatience. Et la journée durant, tu accueilleras, conseilleras et souriras inlassablement. Parce que finalement, tu les aimerais plutôt bien, ces gens qui ne font que passer. Oui, à bien y réfléchir, tu les apprécierais même beaucoup, tous ceux qui viennent parfois de bien loin et semblent tant émus par ce petit bout de terre niché en bordure d’océan. Même s’il te semble parfois qu’ils menacent un peu l’équilibre si doux de ta crique, cette crique pour laquelle tu es revenu. Cette crique qui te manque déjà à peine les talons tournés et que tu retrouveras demain dès les petites heures du jour, avec un bonheur qui ne sait que croitre d’aurore en aurore.

 

Edit : un grand merci à la Tribu de nous avoir si bien vanté les merveilles de ce petit coin de paradis !

5 thoughts on “D’aurore et de grenats

    • lagrandeblonde Post author

      Patelles et berniques, meme combat (ce que je ne savais pas, d’ailleurs, merci la Ptite Lilie, merci Google !). Bernique, ca fait un peu juron du capitaine Haddock, va falloir que j’y pense plus souvent, tiens ;-)

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  1. La Tribu

    Un bien bel hommage que vous rendez tous les 2 a mon petit bout de paradis.
    Merci a toi, ma chère Grande Blonde, d’avoir su aussi joliment décrire cet endroit que j’aime tant et merci aussi a toi, le Grand Brun, d’avoir aussi bien su capter l’atmosphère et la beauté de Red Rock…

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    • lagrandeblonde Post author

      Mais, de rien ;-) On n’a aucun merite, l’endroit est tellement beau ! On y retournera, sans aucun doute et cette fois, on aura plus de temps pour vraiment en profiter au maximum. J’ai deja hate !

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