Du sang sur la roche

(Red Rock, NSW, 07-09-2011)

Red Rock n’est pas seulement l’une des plus jolies criques de la côte nord des New South Wales, c’est aussi un lieu chargé d’histoire, considéré comme un site sacré par les Anciens, un lieu ou certaines femmes Aborigènes refusent de se rendre. Red Rock a en effet été le théâtre d’un massacre aborigène au début des années 1840. Une tentative d’attaque d’une baraque de colons à Glenugie Station par des membres du peuple Gumbaynggirr et le major Oakes lance une expédition punitive. Hommes, femmes et enfants seront précipités du haut des falaises. Le nombre de victimes est inconnu mais le site a hérité son nom du sang qui aurait alors teinté la mer.

Les massacres aborigènes demeurent un sujet extrêmement sensible. En témoignent les chiffres avancés par les uns et les autres : d’une trentaine à plus d’une centaine de massacres « majeurs » auraient eu lieu sur le continent australien entre 1788 et 1932. En un siècle et demi, c’est entre 11.000 et plus de 100.000 personnes qui auraient été ainsi assassinées. Le ratio Aborigènes/colons tués lors de ce siècle et demi « d’incidents de frontière » comme ces massacres sont souvent appelés est l’une des données sur lesquelles les historiens s’entendent. Au dix-neuvième siècle, ce ratio est de l’ordre de 12:1 en Victoria et de 25:1 pour le Territoire du Nord.

Certains massacres ont été documentés en détail. Parmi ceux-là, les massacres de Waterloo et Myalls Creeks, NSW (1838) et celui de Coniston, NT (1928). Les massacres de Waterloo Creek et Myalls Creek font suite à des escarmouches entre Aborigènes et colons annexant les meilleures terres de pâture. A Waterloo Creek, la police montée, dirigée par le major Nunn, intervient. Après trois semaines de recherches sans succès, le groupe est attaqué par des membres du peuple Kamilaroi. Un blessé du côté des colons, quatre ou cinq morts du côté aborigène. Nunn et ses hommes poursuivent leurs assaillants jusqu’à leur campement où ils massacreront quarante à cinquante personnes.

Après le départ du major Nunn, certains colons décident de ne pas s’arrêter en si bon chemin. Le 9 juin, à Myalls Creek, un groupe d’hommes s’attaquent à un groupe du peuple Kwaimbal, assassinant 28 personnes, majoritairement des femmes et des enfants. Les meurtriers essaient de brûler les corps afin de cacher le massacre. Alerté par un témoin (blanc), le gouverneur Gipps ordonne une enquête, qui donnera lieu à deux procès. Le premier verra les onze accusés acquittés mais un second procès aboutira à sept condamnations et autant de pendaisons.

Coniston (au nord-est d’Alice Springs) reste le dernier massacre enregistré en Australie. Il s’agit d’une opération punitive de police, menée après le meurtre d’un chasseur de dingos. Le constable Murray, seul policier pour un territoire de 650.000 km carrés, prend alors la tête d’un groupe de colons et mène une répression sanglante de trois semaines, durant laquelle au moins une soixantaine  d’Aborigènes seront massacrés, dont une trentaine  de la seule main du constable. Le scandale généré par ce massacre en fera la dernière expédition punitive jamais menée contre des Aborigènes.

Si ces massacres sont avérés, d’autres, au contraire, demeurent très disputés, même entre historiens. C’est le cas du massacre de Forrest River, WA (1926). Entre 1 et 1000 personnes auraient été assassinées lors de ce massacre, expédition punitive de la police après une série d’escarmouches de frontière. L’affaire fit grand bruit, tant au niveau national qu’international. Aucune preuve médico-légale n’a pu être apportée malgré des recherches poussées, faisant de ce massacre en particulier un point de débat houleux entre experts et un moment très sensible de l’histoire des relations entre Aborigènes et colons.

Les massacres aborigènes ne sont qu’une des facettes  monstrueuses d’une histoire très douloureuse dont on peut encore ressentir les effets aujourd’hui. Une histoire qu’il est nécessaire de connaitre pour tenter d’avancer et de réparer. Une histoire terrible et passionnante qui a forgé l’Australie d’aujourd’hui.

 

Pour aller plus loin :
- The Original Australians. Story of the Aboriginal People. Josephine Flood. Allen & Unwin, 2006,
- la Gallery of First Australians, National Museum of Australia et en particulier la page Resistance Stories,
- le site Collaborating for Indigenous Rights du National Museum of Australia,Le site Creative Spirits et en particulier la page History,
- concernant Red Rock, le Yuraygir National Park Contextual History report,
- une carte des peuplements aborigènes d’Australie, éditée par l’AIATSIS, Australian Institute of Aboriginal and Torres Strait Islander Studies.

4 thoughts on “Du sang sur la roche

  1. La ptite lilie

    Merci pour ce petit bout d’histoire. Je pense aussi qu’il est important de connaitre ce genre d’évènements … On ne parle pas assez de ce qu’il s’est passé dans les autres pays .. Et c’est bien dommage..

    Du coup, la photo m’a mis des frissons, j’ai du mal à te dire que c’est un beau site, même si c’en est effectivement un.

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    • lagrandeblonde Post author

      Je trouve super interessant d’essayer de comprendre le pays aussi par son histoire et on a bien envie de parler plus souvent des Aborigenes aussi. Mais c’est un sujet extremement delicat… et donc pas evident du tout a aborder. Merci !

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  2. La Tribu

    Non, en effet, sujet pas évident du tout, du tout a aborder, surtout avec les australiens.
    Au fait, je ne me souviens plus, je crois que nous en avions parlé lors de votre passage a la maison et si c’est le cas, je te prie de bien vouloir m’excuser mais le petit chardonnay ce soir-la a tapé dur sur la cabessa a Madame Zaza ;-) chuuut!!!
    La question est: avez-vous vu « Rabbit proof fence »? Si non, il faudra y remédier de toute urgence!
    J’ai été voir « Oranges and sunshine » avec une amie l’autre jour, c’est Chacha qui en avait parlé sur son blog « The aussie post », ça aussi c’est une page de l’histoire australienne très énigmatique et qui gagne a être connue et reconnue…
    Des bises

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    • lagrandeblonde Post author

      Je ne sais plus si on avait parle de Rabbit Proof Fence (le chardonnay etait en effet efficace) mais il fait partie de la pile de DVD qu’on doit voir de toute urgence. Bientot !

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