Ernest le liseur d’étoiles
(Mungo NP, NSW, 10-10-2011)
Comme tous les matins depuis six mois qu’il a charge de couvée*, à peine levé, les plumes encore tout ébouriffées d’une nuit entrecoupée de réveils intempestifs de sa progéniture, Egelmond** s’extirpe du nid familial et jette un œil au ciel en baillant à s’en décrocher le bec. Après plusieurs jours humides et maussades, la brume s’est enfin envolée vers des contrées plus fraîches. Parfait, se dit-il en s’étirant les pattes et en se grattant les ailes avec bonheur. La journée sera belle et les petits râleront moins.
Il est l’heure de les réveiller, la route sera longue jusqu’au Wall of China et ses buissons délicieux. Un dernier coup d’œil au ciel pour choisir le manteau de plumes le plus adapté et Egelmond rejoint le nid où Edouard, Eustache, Eléonore, Eugénie, Edwina, Edmond, Eliette, Evariste et Elvire se réveillent déjà, les premiers debout bousculant leurs frères et sœurs qui tardent à s’extirper de leur douillet matelas de feuilles et de brindilles. Ca se chamaille et ça se poursuit en sarabande déplumée, un vrai petit tourbillon de pattes, de becs et de piaillements. Comme tous les matins, il ne suffit que d’un bref regard à Egelmond pour vérifier qu’il en manque encore un. Ernest, le petit dernier, s’est déjà carapaté, filant dès l’aube balader ses petites pattes sur le sable encore humide de rosée, tout perdu dans ses rêveries. Tellement perdu dans ses rêveries peuplées de nuages magiques et de grandes épopées sauvages qu’il va encore en oublier son sens de l’orientation, soupire son père. Qui sait où l’on va encore le retrouver aujourd’hui… Ses frères et sœurs se moquent de lui et de son incapacité à se repérer même dans son environnement le plus proche, ils raillent son goût pour la flânerie. Egelmond veille au grain, il aimerait tant que ce petit dernier ne soit pas ainsi malmené par le reste de la couvée. Son petit Ernest est celui qui lui ressemble le plus, lui qui, poussin à peine éclos, se faufilait aussi hors du nid pour aller compter les étoiles.
Toute la troupe remplumée de frais, il est l’heure de filer, en espérant retrouver très vite le promeneur de l’aube. C’est tout d’abord un concert de plaisanteries sur les qualités d’orientation innées du petit paumé, ponctué de grands rires un peu bêtas. Mais bien vite, les bons mots s’espacent, les rires s’éteignent. C’est qu’on n’a jamais eu à le chercher si loin, Ernest. Les premiers appels résonnent dans l’air encore frais et les voix qui se veulent fortes et assurées se font tremblantes. Les petits se rapprochent imperceptiblement d’Egelmond, jetant aux bush tomatoes leurs velléités d’indépendance adolescente, transis d’effroi à la pensée des renards qui rôdent non loin. Les premiers sanglots ne se font pas attendre, Eustache et Eliette ont les yeux noyés de larmes et les ailes barbouillées de reniflements mal camouflés. Egelmond lui-même sent ses certitudes vaciller. Peut-être aurait-il dû se montrer plus strict, moins compréhensif ? Il a expliqué longuement à son baroudeur tête en l’air combien il est important de faire attention aux renards mais aussi aux aigles et aux voitures qui patrouillent dans le désert. Ernest semblait avoir tout à fait compris et lui n’a jamais voulu priver son petit de ses vadrouilles tant chéries. Peut-être aurait-il dû écouter les conseils des autres pères, partisans d’une réaction plus sévère ?
Les murailles torturées du Wall of China se dessinent peu à peu et les espoirs s’amenuisent. C’est une longue route pour un poussin tout seul, plus encore pour un doux rêveur comme Ernest. Les pattes flageolantes, Egelmond s’apprête à faire part de ses craintes à sa couvée qui le suit en reniflant silencieusement. Quand soudain, au détour d’un virage, un pépiement bien connu se fait entendre, suivi d’une cavalcade ravie. Une boule de plumes bondissante de joie et de fierté se précipite euphorique sur la petite troupe, renversant Evariste ergots par-dessus tête. Ernest ! C’est Ernest ! Mais oui, c’est bien lui ! se chuchotent, médusés, ses frères et sœurs alors qu’Evariste le coquet tente de remettre ses plumes en ordre. Egelmond hésite entre colère immense et soulagement. La bouille éclatante de fierté que tend vers lui son petit Ernest, tout empli de son exploit, fait valdinguer toute trace de colère. Et c’est alors une véritable cacophonie de pleurs de soulagement, de rires, de cris et de récits essoufflés. Il est parti un peu plus tôt que les autres matins, les nuages étaient denses et la lune lointaine. Il s’est égaré, encore une fois, perdu dans ses pensées. Il a tourné en rond encore et encore, s’est vu perdu cent fois. Et puis les nuages se sont effacés et les étoiles sont revenues. Il s’est souvenu soudain du dessin qu’elles formaient lors de la dernière visite au Wall of China et a cheminé, bec en l’air, jusqu’à retrouver ce même motif dans le ciel. Une fois sur place, épuisé, il s’est endormi et ne s’est réveillé qu’aux cris étouffés de peine de sa couvée.
La cueillette bien vite expédiée, c’est toute une petite famille moulue par trop d’émotions qui s’en est retournée jusqu’à son nid, portant en triomphe Ernest le Paumé devenu Ernest le Liseur d’Etoiles.
* chez les émeus, ce sont les males qui couvent les œufs et élèvent les petits.
** depuis la nuit des temps, sans qu’on sache très bien pourquoi, les prénoms d’émeus ne commencent que par e. Autant dire qu’avec des couvées d’une quinzaine de petits, le choix se transforme vite en casse-tête… et assure quelques pépites à chaque génération.
Suis toute émeue … Ok, ça va, elle est nulle
Avant de repartir m’émeuvoir (le comique répétitif ça fonctionne des fois!); je tiens à te dire qu’un certain colis de grelucheries est parti vendredi matin
Hiii ! C’est moi qui suis toute emeue maintenant ! Mon petit coeur de greluche fait des bonds de cabri Merci, m’dam…oiselle !