Le douillet et la drôle de bestiole

(Méfiance ! Sous son air idyllique, cette prairie cache certainement tigres mangeurs d’hommes, araignées féroces et bull ants sanguinaires. Au moins)

Vous mouchez ? Il tousse. Vous toussez ? Il souffre au moins d’une triple pneumonie. Il a eu environ 27 fois la variole ces six derniers mois et approximativement 375 crises aigues de choléra dans le même temps. Un bouton ? A n’en pas douter, c’est un bubon, il a croisé une souris il y a dix jours, elle l’a regardé d’un drôle d’air. C’est une certitude, c’est la peste noire, elle avait vraiment un air de souris à avoir la peste. Un moustique ou une mouche vrombit à dix mètres de lui ? Il vient d’attraper le paludisme. Et la dengue. Pour le chikungunya, il hésite encore mais c’est tout de même très probable. Un coup d’œil à une notice de médicament ? Il a brusquement tous les effets secondaires possibles et imaginables, des nausées aux palpitations en passant par les contractions utérines. Une manipulation impliquant un produit chimique potentiellement toxique ? La simple lecture du protocole suffit à lui occasionner des symptômes d’intoxication sévère. En prime, il tourne de l’œil.

Un après-midi de printemps. Le soleil joue dans les eucalyptus et il fait bon, si bon que, magie du thermomètre, les pantalons se sont tous raccourcis en bermudas. La tea room bruisse de conversations d’après lunch, toutes emplies de projets pour le week-end à venir. Soudain, il entre, affolé, blanc comme un linge, chancelant, le cheveu en bataille. Il s’effondre sur la chaise la plus proche, s’empoigne la cheville droite et se lance dans une complainte terrorisée que ne renierait pas une héroïne de tragédie grecque, devant la pièce médusée, si brusquement silencieuse qu’on y entendrait les moustiques, et donc le palu, voler. Il marchait tranquillement sur le sentier de ciment sillonant entre deux bâtiments quand il a senti une douleur terrible lui déchirer soudainement la cheville, comme si on lui transperçait la jambe avec un couteau. Long, le couteau, très long. Pointu et très aiguisé aussi, hein. Vraiment coupant. Il a titubé sous le coup de cette atroce douleur et, jetant un œil à terre, il a pu apercevoir quelque chose qui s’enfuyait.  N’écoutant que son courage, il a filé quelques énergiques coups de pied à ladite bestiole non identifiée (qui sera dorénavant désignée sous le terme BRNI, bestiole rampante non identifiée) avant de se traîner jusqu’ici clopin-clopant, terrassé par la souffrance.

Les first aid officers du labo entrent bien vite en jeu, posant quelques questions sur les symptômes éventuels, le temps écoulé depuis l’incident et demandant des précisions sur la BRNI. Bien vite, celle-ci se pare de noir et de rouge, il en est certain, c’est une redback. Ou peut-être une fourmi, il n’est pas trop sûr, finalement. Mais très certainement une redback tout de même. D’ailleurs, maintenant qu’il y pense, il a mal au cœur. Il a comme des vertiges aussi. C’est sûr, c’est une redback ! Une poche de glace plus tard*, il se sent mieux. Pas de trace de morsure, à peine une petite rougeur, tu es sûr que tu n’as pas juste trébuché sur une branche ? Oh ! Il en est bien certain et d’ailleurs, maintenant qu’il y repense, c’était bel et bien rouge et noir, avec des petits yeux méchants. Et cette douleur, cette douleur ! Il a cru mourir tant ce fut violent, comme si on lui avait arraché la jambe à mains nues.

Certains regards commencent à se teinter d’ironie et les commissures des lèvres tremblotent sous la menace d’un fou rire imminent. La glace changée, l’absence de fièvre vérifiée, le malade rassuré, on se propose à le laisser tranquillement installé à la tea room et à venir voir tous les quarts d’heure si tout va bien. Une dizaine de minutes plus tard, il est en grande conversation avec deux malheureux qui n’ont pas assisté à son entrée fracassante et leur retrace donc le moindre petit instant de ce terrible incident qui l’a opposé à une redback. Ou à une guêpe, une vieille guêpe très méchante, pleine de venin et prête à fondre sur la plus innocente des chevilles qui passent par là. Parce que tout de même, les redbacks, ce n’est pas très vaillant ni très rapide. Et puis, c’est dangereux, les guêpes aussi. Oh oui, cette fois, il en est certain, c’était une guêpe. D’ailleurs, il a du mal à respirer. Et il n’est pas le seul tant le fou rire se fait insistant. Changement de pack de glace, une écoute attentive des nouveaux symptômes et quelques paroles rassurantes, tout va mieux, lesdits symptômes se sont enfuis.

Quinze minutes plus tard, rebelote, cette fois-ci, c’est sans doute une bull ant. C’est méchant, les bull ants, vicieux, même. Et puis il y a un risque de choc anaphylactique. D’ailleurs, à bien y regarder, il a même une petite trace rouge sur la cheville, c’est un début de choc.  C’est ça, il en est plus que certain maintenant, c’est bien une bull ant. Un collègue plus taquin que les autres finit par lui demander s’il en mettrait sa cheville à couper, ce qui réglerait définitivement le problème. Moult réassurances plus tard (et autant de nouvelles potentielles BRNI, toutes plus dangereuses les unes que les autres), il rentre chez lui avec pour ordre de contacter son médecin au moindre symptôme.

Le lendemain matin, il est frais et pimpant, toute douleur oubliée jusqu’à ce que quelqu’un lui demande des nouvelles de sa morsure. Brusquement souffrant, il se perd à nouveau en récits sans cesse enrichis de détails à couper le souffle, sa BRNI grossissant comme la grenouille et finissant non en bœuf mais en brown snake gros comme un porcelet et assoiffé de sang frais…

Les paris sont pris : après un week-end à grossir sans répit, l’horrible bestiole devrait avoir atteint la taille d’un dingo ou peut-être même d’un tigre, qui sait ? D’aucuns plus téméraires que les autres ont même proposé l’hippopotame comme agresseur potentiel de la pauvre cheville…

* en cas de morsure par une redback (chez un adulte en bonne santé), il faut appliquer de la glace sur la zone de la morsure, surveiller toute apparition de symptômes de type fièvre, frissons, sueurs et prendre un avis médical. Pour un enfant ou une personne souffrant de problèmes de santé, on file à l’hôpital.
Pour les funnel web et les serpents, bandage enveloppant tout le membre qui a été mordu, suffisamment compressif pour ralentir la circulation lymphatique et on file en urgence à l’hôpital.

16 thoughts on “Le douillet et la drôle de bestiole

    • le grand brun

      J’ai pensé à la même chose en prenant la photo… Donne moi la taille de ton écran ( en pixel, ;-) ) et je t’enverrai une copie.

      Reply
      • Anna

        Il faudrait essayer de détourner son affliction en lui faisant raconter des histoires, mais sur autre chose. Il y a peut-être de la graine de conteur dans cet homme-là.

        Reply
        • lagrandeblonde Post author

          Il est comme ca pour tout. Et malheureusement, il n’a pas la legerete ou l’auto-derision necessaires pour tourner ce genre « d’aventure » au comique. C’est vraiment dommage, en effet, un peu de sens de l’humour aurait pu en faire un grand conteur. Pour la peine, on se contente de rire sous cape !

          Reply
  1. MamyS

    Mais que je suis bête!!! Je clique chez notre amie commune, Dame Patate pour arriver chez Anne-So7. Bien. Puis je clique chez moi sur « lagrandeblonde » et cet andouille d’ordi me ramène chez Anne-so7. Erreur, me dis-je! Je retente la manœuvre et maudis ce $*%z¨Z% d’ordi en lui expliquant que c’est chez « lagrandeblonde » que je veux aller….
    Et je reviens chez Anne-so7 et dans les coms je découvre….. Que ces deux filles-là n’en sont qu’une!!!!
    Tu crois que c’est l’âge qui fait ça?…..

    Reply
    • lagrandeblonde Post author

      Non, c’est mon dequadruplement de personnalite ;-) On est plusieurs dans ma boite cranienne (ce qui occasionne souvent une sacree cacophonie…) !

      Reply
  2. MamyS

    Bon… Je ne suis pas sûre d’être rassurée!! Une personnalité multiple qui rencontre une folle furieuse…………….. Ça risque de faire un drôle de mélange!!

    Reply
  3. Pingback: Ce que je retiendrais de mon surf du 14 au 20 novembre 2011 | Le Codex Gnoufique

  4. Soizic

    Ben tu vois, y’a des fois où je me dits que la Bretagne, c’est peut-être moins exotique, mais c’est quand même moins dangereux… Sur le cailloux, y’a même pas un serpent : on peut se rouler dans l’herbe sans se poser de questions ! (faut que j’arrête de penser à rouler).
    Bises

    Reply
    • lagrandeblonde Post author

      Ah ! se rouler dans l’herbe ! Voila bien un petit plaisir qui me manque. Marcher pieds nus dans l’herbe aussi, d’ailleurs. Bon, apres, pour le fameux douillet, a mon avis, un mouton suffirait a le terroriser aussi… C’est l’avantage, les sources de danger sont inepuisables avec lui !
      Bienvenue chez nous, on n’a pas de patates mais on a des idees koalas. Et ca serait peut-etre tres bon en saucisse. Avec quelques patates, les meilleures du monde ;-)

      Reply

Répondre à le grand brun Annuler la réponse.

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>