Où il est (presque) question de Bruce Lee

(Et où LaGB manque de perdre une vertèbre. Ou deux)

Un vendredi soir à la paillasse, un peu las, épilogue d’une semaine marathonienne. Comme une envie de dorloterie qui pointe le bout de son nez, de ces envies qui vous fixent dans le blanc des yeux jusqu’à ce que vous cédiez. Et soudain, comme une illumination : mais c’est bien sûr ! pourquoi ne pas essayer le centre de massage qui vient d’ouvrir juste en face de notre pub préféré (enfin, de l’un de nos pubs préférés, force est d’avouer qu’on a des cœurs d’artichaut pubement parlant). Aussitôt dit, aussitôt fait, pipettes rangées, ordinateur éteint, LeGB appelé et hop ! direction City Center sous des trombes d’eau. Car oui, le vendredi soir canberrien, non content d’être souvent un peu las, a une fâcheuse tendance à être particulièrement arrosé. Plaignez-nous, les gens, plaignez-nous !

18 heures 23 : l’air conquérant et le dos en capilotade, nous voilà devant la vitrine. Paravents, bambous, jardin zen et jolis fauteuils, pas de doute, le stress accumulé ces derniers temps n’a qu’à bien se tenir, il va finir fissa les quatre fers en l’air sur le tatami. A cracher ses dents. D’ailleurs, si j’étais mon stress, foi de LaGB, je commencerais déjà à numéroter mes abattis. Simple conseil d’ami.
- 18 heures 24 : il y a de la place pour deux massages « tête-cou-épaules » ? Wonderful !
- 18 heures 26 : ça sent un peu le chou, quand même, non ? Hum. Et le pork belly, aussi. Tu crois que ça fait partie de la panoplie détente ?
- 18 heures 27 : ca me donne faim, moi, ces odeurs…
NDLaGB : cette dernière remarque est bien évidemment l’œuvre du LeGB, LaGB étant elle-même d’ores et déjà trop occupée à dormir méditer transcendentalement, installée sur son lit de massage qui couine un peu. Et colle aussi un tantinet, grâce soit rendue à son revêtement plastique.
- 18 heures 28 : la porte coulissante s’ouvre dans un chuintement, laissant entrer les deux masseuses. Une masseuse de poche, souriante, fripée comme un pruneau séché au bon air des montagnes. Et son contrepoids parfait, sans doute née des amours contrariées d’une nageuse est-allemande et d’un sumo, la mine renfrognée et les mains comme des battoirs. Lee et Sisi, respectivement.
- 18 heures 28 et 43 secondes : après un échange de regards affolés et au terme d’une lutte aussi sauvage que désespérée, qui a vu voler en tous sens des mèches de cheveux et des chaussettes, le choix est fait.  LeGB aura la grande joie d’être massé par Hulk Sisi tandis que Lee s’occupera de LaGB.
- 18 heures 29 : LeGB a le teint un peu verdâtre. LaGB, magnanime, ricane tout bas.
- 18 heures 29 et 30 secondes : à nous deux, Lee !
- 18 heures 29 et 31 secondes : groumpf !
- 18 heures 29 et 32 secondes : Non mais dis donc, Lee, c’est pas bien gentil de m’enfoncer l’index sous la clavicule. C’est sensible une clavicule, c’est timide aussi. Un peu de douceur, que diable !
- 18 heures 29 et 40 secondes : aie !
- 18 heures 29 et 41 secondes : ça a combien de coudes, déjà, un pruneau séché au bon air des montagnes ? Non parce que là, j’en compte au moins trois, deux entre les côtes et un autre sur la cinquième cervicale. Que je suis en train de perdre, d’ailleurs.
- 18 heures 30 et 22 secondes : j’ai hérité de la génitrice de Bruce Lee, c’est pas possible autrement. Et fiston, à côté, c’était vraiment de la gnognote.
- 18 heures 31 : on peut devenir paratétratouçaplégique après un massage ?
- 18 heures 34 : Lee, ca suffit ! Repose tout de suite mon coude gauche à sa place, il n’a rien à faire derrière mon genou droit !
- 18 heures 36 : si je suis stressée ? Mais non, voyons, tout va très bien, je baigne dans un océan de félicité et de détente. Mais ça irait encore mieux si je retrouvais des sensations dans ma jambe gauche.
- 18 heures 39 : à tous les coups, ça ne sentait pas vraiment le pork belly. Ca parait logique, faut bien qu’ils trouvent un moyen de se débarrasser des corps des clients qui ont succombé, non ?
- 18 heures 39 et 12 secondes : je ne veux pas finir en pork belly ! Hors de question ! Plutôt mourir !
- 18 heures 39 et 18 secondes : mais si je meurs, finalement, quelle importance de finir en sauce aigre douce ?
- 18 heures 39 et 20 secondes : ça y est, je délire, mon cerveau manque d’irrigation, j’ai été privée d’oxygène trop longtemps. Au secours ! Je ne veux pas finir en légume. Remarque, avec du pork belly, c’est plutôt sympa, un peu de légumes en accompagnement…
- 18 heures 43 : en fait, si je me concentre sur les rayures de la moquette, ça fait moins mal. Une, deux, trois, quat…. Aie ! Ah non, finalement, ça ne marche pas tant que ça.
- 18 heures 43 et 18 secondes : respirer par le ventre, tranquillement. Inspirer, expirer. Je suis sur une plage de sable blanc, il fait doux, les oiseaux chantent et personne n’essaie de me déboiter les cervicales.
- 18 heures 46 : j’avoue, j’avoue tout ! Mais pitié, pas les omoplates !
- 18 heures 46 et 21 secondes : en primaire, j’ai triché aux billes. Deux fois. Mais j’ai perdu quand même, ça ne compte pas vraiment, hein ?
- 18 heures 46 et 23 secondes : si, c’est vrai, ça compte pareil ! Pas le coude, pas le coude !
- 18 heures 46 et 29 secondes : et en terminale, j’ai oublié de rendre un livre au CDI. Une semaine entière. Et j’ai menti en disant que je n’avais pas reçu de rappel. C’était mal, c’était très, très mal. Je peux récupérer mon bras, maintenant ?
- 18 heures 52 : non ! pas le petit doigt, pas le petit doigt !
- 18 heures 52 et 05 secondes : trop tard. Adieu, petit doigt !
- 18 heures 57 : non ! pas l’autre petit doigt, pas l’autre petit doigt !
- 18 heures 57 et 05 secondes : trop tard. Adieu, autre petit doigt ! Je t’aimais bien.
- 19 heures 01 : si j’ai apprécié le massage ? Oh ben oui, alors ! Oui, oui, oui, bien sûr, plus que oui (surtout, ne pas contrarier les pruneaux séchés au bon air des montagnes, on ne mesure pas toujours bien leur dangerosité).
- 19 heures 02 : comment ? ce massage était tout en retenue ? La prochaine fois, ce sera plus énergique ? Ha ha ha !
- 19 heures 02 et 25 secondes : courage, fuyons ! Enfin, traînons-nous lamentablement, fonçons à la vitesse d’une limule neurasthénique, rhumatisante et ensablée. Et n’oublions pas de sourire, on ne sait jamais…
- 19 heures 08 : alors, c’était comment ? Un petit regard en coin, un demi-sourire qui finit en fou-rire et c’est un raz-de-marée de « j’ai cru y laisser un poumon », « je crois qu’elle a fait des tresses avec ma colonne vertébrale » et de « je suis sûr que je vais avoir des bleus, là, là et puis là aussi ».
- 19 heures 10 : mais finalement, ça fait rudement du bien, non ? On y retourne quand, dis ?
- 19 heures 10 et 25 secondes : si ce n’est pas la preuve fracassante qu’on a sans aucun doute manqué d’oxygène…

2 thoughts on “Où il est (presque) question de Bruce Lee

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