On dirait le Sud

 (Wilson Prom’, VIC, 08-04-2012)

 Il y aurait dû y avoir une journée dans Melbourne à déambuler nez en l’air, du lèche-vitrine, des dumplings extra sur une table qui colle un peu dans un boui-boui qui sent un peu le (vieux) chou, des courses-poursuites de mouettes à Federation Square et des pingouins de poche kikinou trognons sur la jetée à St Kilda le soir venu. Oui, c’est ce dont il avait été question, quasiment gravé dans le marbre.

Mais c’était sans compter sur l’appel de l’atlas, pleurant sans fin dans le sac à dos. Et sans compter non plus sur les ronflements quasi-sismiques d’un voisin de chambrée, Anglais, enrhumé et baba de rhum. Le marbre et ses gravures ne faisant pas le poids, les sacs à dos avaient été empoignés bien vite, les clés rendues fissa et en trois coups de cuiller à pot, Kroket prenait la tangente, le large et la poudre d’escampette, direction la côte sauvage et indomptable de Wilson Promontory.

Enfin, en théorie… En pratique, il fallait se dépêtrer d’un véritable labyrinthe de rues en travaux, de sens interdits, de routes à péages et de bien trop nombreux « &%#$@* de @*%&~ de vingt mille %[+#@, c’était là qu’il fallait tourner ». Autant dire que bien vite, il y avait plus d’éclairs furibonds que de petites fleurs bucoliques s’échappant de l’habitacle d’une Kroket qui fumait un peu…

La bonne route enfin trouvée et la grande ville laissée loin derrière, chacun s’absorbait dans une contemplation butée follement concentrée des champs, des forêts et des premières plages. C’est l’avantage incontesté des bouderies de road trip : d’un coup, d’un seul, le paysage qui défile devient diantrement passionnant…

Et puis, une tarte aux amandes plus tard, tout de même, il semblait bien bête de continuer à se chamailler pour une malheureuse
toute petite heure de perdue.
Après tout, ce n’est pas de ma faute si tu ne m’écoutes jamais. Je t’avais bien dit qu’il fallait passer par là et pas par là mais évidemment, il a fallu que tu fasses autrement.
Et puis, pfff ! qu’importe si tu veux toujours avoir raison. Fine, OK, tu avais raison, c’était la bonne route. Pour remonter sur Adélaïde. Mais c’est vraiment pas de bol, on voulait juste aller de l’autre côté.

(qui a dit que les tartes aux amandes adoucissaient les mœurs ?)

Encore un peu plus tard, après s’être à nouveau follement absorbés dans la lecture des panneaux, du Lonely Planet ou de l’atlas, après avoir compté les eucalyptus poussant en bord de route, les avoir classés par espèce et sous-espèce et avoir grommelé à n’en plus finir, nettoyé ses lunettes de soleil huit fois en cinq minutes et encore un peu grogné, un peu plus tard, donc, le fou-rire devenait irrésistible. Et il tombait bien, ce fou-rire : Wilson Prom’ montrait enfin le bout de sa péninsule. Il s’agissait donc de ne plus jouer les ronchons grognons. Ce n’est tout de même pas tous les jours qu’on flâne nez au vent tout au sud du sud de l’Australie…

La barrière du parc national passée, ne restait plus qu’à guetter les kangourous, les émeus et les wombats au beau milieu des champs d’eucalyptus et des rivières tapissées de roseaux. Le soleil entamait sa route vers l’horizon et les plages se paraient d’or.  Les mouettes jouaient les vigies d’opérette, les vagues se creusaient, l’écume soufflait, les boulders roulaient des mécaniques, tentant d’impressionner les visiteurs d’un jour et les lichens de toujours. Il faisait frais, l’automne tirait presque sa révérence devant l’insistance de l’hiver et il suffisait d’une étincelle d’imagination pour deviner là-bas au loin, perdu sur l’horizon, un petit bout de Tasmanie et peut-être même une parcelle de Pôle Sud. La marée montait, le sable crissait légèrement sous les pieds et il faisait bon se blottir l’un contre l’autre pour attendre le crépuscule, en prétextant avoir un peu froid.

Et une fois le soleil presque couché, il faisait doux aussi retrouver Kroket, brancher un peu le chauffage, souffler dans ses mains gelées et filer vers Yanakie, Foster puis Sale, des images plein les mirettes, en chantant à tue-tête des vieux tubes de Radiohead. Et en guettant les kangourous et les wombats gambadant en bord de route, aussi. C’est qu’il fallait tout de même bien voir à ne pas se retrouver brutalement en rade en rase campagne, un marsupial sur le capot et une autre chamaillerie sur les bras…

 

 

6 thoughts on “On dirait le Sud

  1. voyageuse31

    Magnifiques photos et bonne description de la liberté du voyageur de partir quand ce n’est pas bien et de s’arrêter quand on a un coup de cœur… Bon road trip !

    Reply
  2. Ampelopse

    Moi aussi j’aurai peut-être eu du mal a choisir entre flânerie-shopping et sac-a-dos-aventure, mais je m’incline…vous avez bien fait! Superbes photos…c’est l’évasion TOTALE!
    Un grand merci pour ce grand bol d’air (frais, si j’ai bien compris?)

    Reply
    • lagrandeblonde Post author

      Merci, merci !
      Et oui, frais, bien frais, meme. On resiste encore a l’appel du chauffage mais avec 3 degres la nuit, on va bien vite ceder !

      Reply
    • lagrandeblonde Post author

      Merci ! Je n’y avais pas fait gaffe mais c’est vrai que Wilson Prom’ parait a la fois familier et tres exotique. Sans doute parce que c’est un coin absolument incroyable de beaute…
      Bienvenue chez nous !

      Reply

Répondre à Tongs et Sri Lanka Annuler la réponse.

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>