Mon bel eucalyptus

(Green Patch Beach, NSW, 01-10-2012)

Il est là, il est toujours là, lui et ses cicatrices, lui et son air bougon, ses feuilles qui chavirent pour le moindre souffle de vent et ses racines qui solidement plongées dans la roche, qui effleurant le sable. Il est là, oui, toujours. Pas qu’il puisse vraiment retrousser ses racines et aller voir plus loin si l’eau est plus douce ou les marées moins sauvages, certes. Mais il est là, toujours, à la façon qu’il a d’incliner ses branches au-dessus de la crique qui file et s’effrite sous les vagues et les pas, au murmure qu’il laisse courir dans le vent, au chuchotis qui frise et ondule de ses frondaisons quand le soleil montre son nez, au frisson qui le parcoure quand les nuages s’accumulent, aux branchettes minuscules qui le hérissent comme autant d’épis dressés sur une bouille encore engluée dans les brumes du petit matin mal réveillé.

Oui, il est là, toujours. Et il n’y a qu’à faire quelques pas sur le sable qui crisse et maugrée, crapahuter quelques instants de rocher en rocher en pataugeant dans les vaguelettes pétillantes pour se blottir douillettement sur son tronc qui s’étire chaque année un peu plus au-dessus du sable blanc, blanc, si blanc, si fin, si fin. Et il suffit alors de se laisser bercer, de chatouiller l’écorce et de saluer les chenilles ventrues chevelues qui se prélassent sur un bout de feuille ou brin de branche, d’éventailler cinq paires d’orteils couronnés de sable qui colle. Oui, il suffit de soupirer d’aise et de se blottir encore un peu plus tout contre l’écorce, de déposer son chapeau sur un porte-manteau poussé là comme par magie pour retrouver, toujours, un petit bout d’ailleurs, son petit bout d’ailleurs, sa petite bulle douillette qui sent bon l’eucalyptus, le sable repu de soleil, l’océan qui clapote, le ciel bleu qui se perche sur un caillou tout là-haut et les lorikets qui nichent et se chamaillent quelques branches au-dessus.

Hier, à nouveau, il y a eu ces quelques pas, ces quelques instants de crapahutage sur des rochers à marée basse en souhaitant tout bas trouver tronc à son séant sans trouble-bulle douillette déjà installé, oh rage, oh désespoir, oh public holiday ennemi, sur l’auguste et valeureux perchoir. C’est qu’il y avait presque foule sur le sable, qui château-de-sablant, qui bataille-de-boules-de-sablant, qui au-soleil-toastant, qui au-bord-des-vagues-frissonnant. Et puis, le cœur battant un peu la chamade et l’orteil vindicatif (prends garde à toi, trouble-bulle, l’orteil lagbien est sur tes traces et il n’est vraiment pas content), il est enfin apparu, toujours là et seul, tout seul sur son bout de plage. Toujours aussi douillet, toujours autant petit bout d’ailleurs où se poser les orteils (apaisés) en éventail et l’esprit vagabond. Et qu’il était doux de se laisser bercer à nouveau, de poser chapeau et soupirs sur un coin de branche…

Décidément, ils n’y connaissent rien, ceux qui viennent ici et te délaissent, mon pauvre arbre ! Pas qu’il soit question de s’en plaindre, remarque… Mais tout de même, han ! quel manque de jugeote, tu ne trouves pas ? Oh si, tu trouves aussi, je le vois bien rien qu’à la façon que tu as de secouer de la feuille… Mais, va, mon bel eucalyptus, on sait tous les deux que tu es le roi absolu de tous les arbres. Et c’est bien ça le plus important, non ?

4 thoughts on “Mon bel eucalyptus

  1. Sophiefromthetrain

    « sable blanc, blanc, si blanc, si fin, si fin »
    « le sable repu de soleil, l’océan qui clapote, le ciel bleu qui se perche sur un caillou tout là-haut et les lorikets qui nichent et se chamaillent quelques branches au-dessus »
    et j’en passe… trop trop trop dur.

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