Hanging on the telephone

(Où il est -encore- question de pédaler dans la choucroute)

Un matin d’avril. Un petit, tout petit matin d’avril qui frissonne encore un peu, un pied presque en été, l’autre sagement posé presque en hiver. Les persiennes laissent filtrer quelques rayons de soleil, tout juste assez pour s’apercevoir qu’il est encore tout de même rudement tôt. Bordeaux s’éveille doucement, les derniers fêtards piquent du nez et les plus courageux filent chercher des croissants. Le chat somnole sur le canapé, les yeux mi-clos et l’air béat. LeGB en fait autant. Enfin, non, pas exactement : LeGB pionce comme une vieille souche moussue et vermoulue, le traversin en travers du front, un pli sur la joue, tout entortillé dans la couette, façon tacos.

LaGB, elle, a le teint un brin verdâtre et le trouillomètre environ deux cent mètres sous la fosse des Mariannes. C’est que ce petit matin-là a des allures de grande aventure… Le canapé, pourtant élu meilleur-bureau-de-tout-l’univers-au-moins-surtout-quand-on-a-du-chocolat-du-thé-des-Petits-Ecoliers-des-cookies-du-fromage-du-saucisson-liste-non-exhaustive-à-portée-de-main-le-chat-sur-les-genoux-et-tout-un-arsenal-de-documents-répandu-façon-puzzle-sur-le-plancher, le canapé, donc, a dû rendre les armes, confronté à plus fort, plus solennel que lui. Oui, ce matin,  c’est le vrai-bureau-avec-un-gros-ordinateur-dessus-et-puis-des-tas-de-papiers-qui-attendront-sans-doute-au-moins-cent-sept-ans-et-le-déluge-pour-être-triés qui l’emporte. C’est que le téléphone est posé sur ledit bureau sérieux et que ce sera rudement mieux de ne pas avoir à se battre avec le chat pour se faire un brin de place.

Aussitôt dit, aussitôt fait ! Ca s’installe, ça pousse, ça vire et ça fait tomber les tours de Pise et de papier qui s’amoncellent sur le bureau sus cité. De quoi faire sursauter le chat et faire pousser quelques jurons à LaGB. LaGB qui guette les minutes et inspire, expire, inspire, expire… avant de s’affoler soudain. « Diantre ! »
NDLaGB : ce qu’il y a de bien avec les reconstitutions d’événements historiques, c’est qu’on peut essayer d’avoir un langage un tantinet plus châtié. Parce que sur le coup, ça tenait plus du bip de bip à bip de mordel de bip de vingt mille pompes à bip qu’autre chose. Mais revenons-en à nos claviers et à nos teints verdâtres…

« Diantre ! disait donc LaGB. Je dirais même plus, saperlipopette ! Mais comment dit-on ‘allo’ en anglais ? ». Branle-bas de combat, malédiction et purée de potiron, vite, vite, vérifions ! Quelques instants plus tard, le ‘allo’ à l’anglaise est à peu près maîtrisé, huit règles de grammaire ont été révisées pour la 37ème fois au moins, les kilomètres de notes scrupuleusement griffonnées les jours précédents s’ornent de quelques hiéroglyphes supplémentaires, aussi frais que tremblotants, les incontournables trois-qualités-et-trois-défauts-qui-pourraient-vous-définir-en-anglais-dans-le-texte-parce-que-mazette-comment-dit-on-qu’on-a-visiblement-un-fort-potentiel-génétique-s’agissant-d’être-maladroit ont été re-re-re-re-re-re-relues. Oui, quelques instants plus tard, la fosse des Mariannes ferait presque office de pataugeoire devant le gouffre d’angoisse qu’est devenue une LaGB dont les dents et les genoux jouent les castagnettes en rythme. Quelques instants plus tard aussi, l’ordinateur montre des signes de faiblesse (trop de stress, sans doute). Ni une, ni deux, hop ! ça farfouille dans les câbles divers et variés pour trouver prise à sa batterie et ainsi parer à tout souci. C’est qu’il faut être plus que ready, mate !

Les minutes filent, hésitant entre la vitesse de l’escargot neurasthénique et celle du diable de Tasmanie en route pour son dîner. Et puis, finalement, six heures sonnent. L’heure fatidique est arrivée, LaGB se fige, prête à bondir sur le téléphone. Une minute passe, puis deux. Tout de même, c’est bizarre… Ils ne sont pas réputés pour leur ponctualité, les Anglo-Saxons ? Bientôt, déjà six minutes de passées depuis l’heure dite. Hum ! LaGB épluche frénétiquement ses mails, écume Google Calendar, se perd dans des calculs fort savants de décalage horaire, d’âge du capitaine et de couleur de cheval blanc. Tout en s’arrachant les cheveux. Et en se rongeant les ongles jusqu’au coude pour faire bonne mesure. Mais sans vérifier la tonalité du téléphone. C’est qu’il faudrait voir à ne pas bloquer la ligne, hein !

Heure H passée de dix minutes. Précédé du chat qui, décidément, aimerait bien trouver un coin tranquille où dormir si on lui laissait un peu le choix, fichus humains bruyants !, LeGB débarque. Pli sur la joue, cheveux en bataille, œil encore vitreux, orteil en compote et en chou-fleur (la faute à une quelconque étagère qui se sera encore déplacée pendant la nuit) (fichues étagères !) et téléphone portable à la main. Téléphone qui, évidemment, finit de sonner à l’instant même où le bel au traversin dormant arrive à portée de LaGB. LaGB à qui un rapide coup d’œil au numéro suffit pour se remettre à jouer les castagnettes sur pattes, les coudes avec les genoux et les dents avec les orteils (ce qui dénote une certaine –et insoupçonnée- souplesse). Pas le temps de se concentrer sur ses chakras, sa respiration ou une tablette de chocolat, il faut rappeler fissa. C’est qu’il y a tout de même un travail au bout du monde à la clé…

Quelques crissements d’antennes relais plus tard, hop ! mise en pratique du ‘allo’ à l’anglaise. Enfin, en théorie. Parce qu’en pratique… En pratique, LaGB est tellement stressée qu’elle s’en mélange les pinceaux, s’emmêle les pieds dans une nappe dans des explications désolées et so very sorry qui ne comprennent pas du tout pourquoi le téléphone fixe ne sonne pas, il marche très bien d’habitude. Elle s’emberlificote aussi dans des numéros de téléphone à dicter histoire de vérifier qu’il ne s’agit pas d’une erreur. A tel point qu’un des recruteurs, dans un élan de compassion (ou le fou-rire au bord des lèvres, qui sait ?) finit par passer de l’anglais au français, histoire de rassurer un brin la donzelle. Las ! il faudra à ladite damoiselle affolée au moins deux minutes pour réaliser qu’on ne lui parle plus en anglais… De quoi vexer un tantinet ledit recruteur mais aussi alimenter les récits hauts en couleurs et les gloussements pour quelques jours au moins.

Un peu plus, même : deux ans et demi plus tard, après un entretien finalement pas si épique que ça, LaGB en entend encore parler, de ce fameux matin d’avril. C’est que ça fait beaucoup rire ses chefs. Et ça les ferait sans doute encore plus rire s’ils apprenaient le fin mot de l’histoire : il a suffi, en ce petit matin d’avril il y a deux ans, de raccrocher du fameux entretien pour immédiatement comprendre le pourquoi du comment de la démission du téléphone fixe. C’est que LaGB, suivant une de ses très rares velléités d’organisation (toujours se méfier : l’organisation, c’est le mal), toute baignée d’allant et de stress, au moment de s’installer au vrai-bureau-qui-fait-sérieux-et-qui-sera-donc-parfait-pour-un-entretien-d’embauche-avec-l’autre-bout-du-monde, a débranché, entre toutes les possibilités, la prise dudit téléphone. Vous avez dit Pierre Richard ? Comme c’est bizarre !

Heureusement, d’autres discussions téléphoniques avec l’autre bout du monde se passent de façon moins mouvementée… Comme cet après-midi, par exemple. Pour les curieux qui voudraient entendre à quoi ressemble une voix de Grande Blonde au téléphone, c’est à environ 26 minutes après le début de l’émission. Merci, France Inter !

6 thoughts on “Hanging on the telephone

  1. Charlotte

    J’ai beaucoup ri en lisant ton entretien téléphonique ! Du coup en t’écoutant à la radio je me suis demandée si tes genoux jouaient des castagnettes :) Bravo pour l’interview !

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    • lagrandeblonde Post author

      Je dois bien avouer que oui, un peu ! Et j’ai failli causer en anglais aussi. Comme quoi, les entretiens se suivent mais ne se ressemblent pas ;-)
      Merci !

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    • lagrandeblonde Post author

      Mais de rien ! C’est du tout vrai, en plus (a part LeGB en tacos de couette, comme il me demande expressement de le preciser)…

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