Rotorua dans la brume

(Waka Village, 21-12-2012)

Il pleut. Depuis Tauranga tôt ce matin-là, la bruine n’a pas cessé. La route s’emmitoufle dans les nuages et il faut plisser les yeux sans cesse pour deviner les contours des arbres, sans même parler des bas-côtés qui jouent les filles de l’air. On ne voit pas à trente mètres. C’est douillet, tout cotonneux. Un peu trop, peut-être. C’est qu’on aimerait bien apercevoir Rotorua, tout de même…

Des virages qui se pressent, caracolant en bord de lac. Des arbres, toujours plus fantomatiques, quelques chants d’oiseaux sur la gauche, le doux fracas des canards qui peinent à extirper leur croupion (qu’on imagine dodu, pour le coup) des eaux tranquilles de Lake Rotorua qu’on ne devine même pas. Les feuilles frissonnent, la pluie s’apaise. Juste assez pour entr’ouvrir les fenêtres sans risquer une quadruple pneumonie. Et une sinusite par-dessus le marché. Ou pire encore, un rhume.

Et soudain elle est là, évidente, prenante, presqu’envoûtante. A la fois étrange et familière, omniprésente, bien décidée à faire savoir qu’on entre sur son territoire. Elle, cette odeur si particulière. Cette odeur de volcan, de centre de la Terre qui bouillonne tout près, juste sous nos pieds. Cette odeur entêtante et douce à la fois, cette odeur qu’on sent se répandre dans nos poumons et coloniser jusqu’à la plus petite alvéole. Toute chargée de pluie, elle soupire, s’étire et s’étend. Et comme s’il s’agissait d’un signal convenu de longue date, les nuages s’effilochent. Noire la terre, épaisse, riche. Vert intense les arbres, majestueux, paisibles. Bleu gris patient le lac encore frissonnant. Blancs les panaches de vapeur qui s’élèvent des collines et tourbillonnent à perdre haleine.

Quelques kilomètres, encore quelques averses et quelques frissons aussi. Whakarewarewa, enfin, comme une première étape sur la route des colères terrestres. Mais pas seulement. De geyser en lac bouillonnant, c’est un peu de la culture maori que l’on découvre, sa richesse, ses traditions, son histoire et ses légendes. C’est que Waka Village est toujours habité, par trente cinq familles du clan Tuhourangi Ngati Wahiao. Comme depuis deux cent ans maintenant. Il y a des enfants qui se baignent dans la rivière et d’autres qui se rechauffent dans les bains creusés à même la roche, des sédiments bleus, jaunes, oranges qui décorent des cuvettes bouillonnantes, des plats qui mijotent dans des fours naturels, à même le sol. Noël n’étant pas très loin, les puddings ont rejoint légumes, poulet et poissons. Tout ce petit monde mijote tranquillement à la cocotte géothermique et ça sent rudement bon… Il y a un sculpteur très à cheval sur les histoires de copy write et un tailleur de pierre qui fait des merveilles.

Il y a aussi ces volutes, ces fumées qui dansent au-dessus du sol, partout, qui font les lunettes floues et les pieds tout chauds. Et puis des vapeurs qui trottent à la surface des lacs d’eau chaude, accompagnées du babil des bulles de boue qui pétillent sur les rives. Ca chuchote, ça crépite et ça susurre, ça éclate en petites bulles de rire. Le brouillard est revenu et les lutins ne sont plus qu’à un plissement d’œil. Il y a dans l’air comme un peu de magie (et de soufre aussi), l’irréel est au bout de l’orteil. Et c’est fabuleux, tout simplement !

6 thoughts on “Rotorua dans la brume

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