Smells like Oz spirit
(Regatta Point, Canberra, 26-01-11)
Comme chaque année, il est arrivé au soleil couchant, un petit sac patiné de vieillesse et de soleil niché au creux de son dos. Regatta Point bruissait déjà de rires et de cris, fourmillait de galops effrénés d’enfants et de badinages adolescents. Il a cherché des yeux le carré de pelouse qui l’accueillerait, un peu à l’écart de la foule. Très vite, il a haussé les épaules, souriant à son désir de solitude, vieux compagnon de route toujours contrarié en ce jour particulier : cette année encore ne ferait pas exception à la règle, la ferveur et la liesse auraient raison de son envie de calme. Avisant un petit coin peu exposé aux cavalcades enfantines, il a sorti de son sac une petite natte, elle aussi usée, et l’a dépliée de quelques gestes économes.
Une fois assis, présence discrète, feutrée, son regard s’est perdu au loin, bien loin des familles partageant nouvelles et bons mots, bien loin des enfants chahutant, bien au-delà de la scène posée sur le lac Burley Griffin. Ces ailleurs, ces autrefois qui, pas après pas l’avaient conduit à ce soir d’été, l’occupaient tout entier. Comme chaque année, les souvenirs, petits insectes affolés, se pressaient contre ses paupières closes, voletant sans ordre aucun, minuscule tourbillon sans cesse en mouvement. Le tout premier contact avec cette nouvelle terre, ce nouveau monde qui le terrifiait et l’envahissait d’une impatience exultante, cette première bouffée d’air aux senteurs si affirmées et ce rêve à saisir à bras-le-corps. La sensation si déstabilisante de se savoir étranger, immigrant mais de se sentir plus à sa place ici que nulle part ailleurs. La certitude qu’ici bien plus que toute autre part, il suffit d’oser. Et sa peur jumelle enfouie mais si présente, celle qui susurre au plus profond des pensées, lorsque le courage chavire, que si tout est possible, rien n’est éternel. La découverte si précieuse de la beauté et du goût de chaque minute écoulée lorsque le temps est compté. Les premiers espoirs, les premières pierres posées timidement et les suivantes ajoutées avec une plus grande confiance, les premières questions esquissées qui chamboulent tout sur leur passage, les premiers « si » qui pétillent, suivis par bien d’autres… Et par-dessus tout, cette chance savourée, ce petit instant chéri, poli avec une tendresse incrédule, ce petit tournant de rien du tout qui un jour lointain aura tout fait basculer, bouleversant un futur qui ne rêvait pas encore.
Cette année, une fois encore, il est arrivé au soleil couchant. La nuit tombée, les cris et les rires se sont tus, les lumières se sont tamisées et la foule s’est soudainement levée. A la lueur des étoiles, les premières paroles ont retenti, Ngunnawal et anglais mêlés. Comme chaque année, il a discrètement essuyé quelques larmes de bonheur, de reconnaissance et d’espoir. Comme chaque année, il a murmuré à une Croix du Sud bienveillante son souhait et sa promesse de la saluer à nouveau au prochain 26 janvier.