George de la plaine

(Du haut de ces éoliennes, plus de quinze ans de sécheresse vous contemplent)

Remembrance Highway déroule son large ruban de bitume blanchi de chaleur. Les nuages s’amoncellent et dessinent au ciel des sourcils froncés et menaçants que le soleil ne parvient plus à dérider. Les eucalyptus flanqués de graminées jaunies se succèdent dans les rétroviseurs, quelques currawongs volètent paresseusement de place en place, cherchant du regard une nouvelle carcasse de kangourou à se caler sous le bec. L’air pétille de crépitements d’orage à venir et mousse de tourbillons d’insectes affolés.

Perdu dans ses pensées, l’esprit tout entier absorbé par la rencontre qui s’en vient, les mains crispées sur le volant, il avale les kilomètres sans les voir. Il répète, comme un enfant effrayé par la nuit se murmure une comptine aimée en serrant très fort les paupières pour ne pas voir les monstres tapis tout près, le déroulement exact des événements à venir. Arrivé à destination, il aura deux heures de répit avant d’avaler une dernière grande goulée d’air et de se lancer dans ce grand plongeon si scrupuleusement préparé. Il se récite sans répit la litanie ordonnée et soigneusement pesée des arguments qui seront les siens, édifice de réflexions patiemment construit pour faire mouche à coup sûr.

Soudain las de patienter, un éclair plus trépignant que les autres se jette sans crier gare à l’assaut des champs, lacérant l’horizon d’une violente balafre lumineuse. La pupille harponnée, brusquement sorti de sa rêverie, il lance un regard courroucé au ciel et, machinalement, prêt à replonger sans plus tarder dans ses réflexions, tourne ses yeux vers le bush. L’espace d’un regard suffit à faire s’envoler arguments, pensées et préparation scrupuleuse. Les paupières débordant de picotements, les mains tremblantes, il observe l’immense étendue d’eau inattendue. Lake George le déserteur est enfin revenu à son domaine après quinze ans d’abandon à la terre craquelée et à la poussière.

Oublieux du reste, il cherche des yeux la petite bifurcation, la petite piste qui le ramènera à l’enfance. Laissant derrière lui la highway et les tracas d’adulte, il bifurque pour quelques instants vers les rives du lac et les souvenirs. Il y avait une grande main calleuse qui couvrait la sienne si petite de garçonnet et une grande silhouette dégingandée protégeant des monstres tapis dans les hautes herbes. Il y avait des grands éclats de rire et des épaules accueillantes quand la fatigue envahissait ses petites jambes. Il y avait des récits d’histoires du passé et des questions pressantes d’un petit garçon à son grand-père, des journées à explorer les rives d’un lac qui pouvait parfois disparaitre des années, pour mieux revenir ensuite. Il y avait des grenouilles à faire tressauter de surprise et des sauterelles à attraper de la main pour leur chatouiller les pattes arrière. Il y avait le lac, le petit garçon, son grand-père et un monde à découvrir main dans la main.

Le lac est revenu, le petit garçon aussi. Les souvenirs tissés de tendresse remontent à la surface et pétillent en bulles légères, apaisantes. Une grande main calleuse, rassurante, fière et confiante presse l’épaule du plus si petit garçon qui reprend doucement la route vers la highway et ses habits de grand. Ne t’inquiète pas. Tout ira bien.

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