Un petit caillou, un joli caillou

Il y a à Green Patch Beach, accroché tout à la pointe d’une microscopique plateforme qui s’avance vaillamment dans l’océan, un petit bout de rocher de rien du tout. Il n’y a pas là-bas de filao jovial ni eucalyptus majestueux, pas de banksia buissonnant gaillardement. L’eau n’y est même pas délicieusement douillette, non. Il n’y a que ce petit bout de rocher, ce petit bout de grès de rien du tout, posé là tout seul au milieu de tant d’autres.

Un petit bout de rocher ourlé d’écume, festonné d’algues, saupoudré de cristaux de sel et de grains de sable égarés. Un petit bout de rocher chatouillé par les exubérants zigzags d’un ballet de crevettes microscopiques, troupe lilliputienne s’ébattant sans relâche dans les minuscules piscines creusées par quelques vagues fracassantes. Un petit bout de rocher baigné de brise et de silence, de ce silence douillet formé du chuchotis des vagues, du petit air siffloté par les arbres dans le lointain, et de la réverbération si légère des pépiements ravis de quelques lorikets comblés de miettes, de graines et de soleil.

Un petit bout de rocher protégé par un rempart de crevasses, où l’on ne vient que pieds nus, laissant la plage au sable si doux derrière soi. Un petit bout de rocher semé de coquillages féroces sillonnant jalousement leur domaine, farouche armée nacrée défilant fièrement pointe au clair. Un petit bout de rocher où l’on danse follement des orteils, tentant vainement d’éviter les piques acérées des sabres dégainés par de trop nombreux mollusques mercenaires.

Un petit bout de rocher de rien du tout où il fait bon enfin s’installer pour laisser ses pieds malmenés être doucement consolés par le Pacifique. Un petit bout de rocher où déposer un peu de son temps, passé à guetter l’éclair scintillant d’un poisson coffre et la moelleuse rondeur d’une méduse, à rêver d’apercevoir dauphins et requins de Port Jackson, où laisser ses pensées faire des ricochets au-delà des vagues et de la baie, bien au-delà de Point Perpendicular. Un petit, tout petit bout de rocher où se bercer d’aventures immobiles, emplir ses poumons d’iode et rêves à venir, un petit brin de caillou où savourer quelques délicates pépites de solitude sereine.

Un petit bout de rocher de rien du tout, perdu au beau milieu de tant d’autres, peut-être. Mais son petit bout de rocher de rien du tout, un petit bout de rocher bien à soi, où évader ses pensées les petits matins gris, où poser et soupeser doutes, envies et espoirs. Un petit bout de rocher où s’ancrer pour mieux avancer. Un petit bout de rocher de rien du tout posé au bord du Pacifique, transformé un beau matin en petit bout de soi par la magie conjointe de quelques cristaux de sel scintillants, d’un peu d’écume mousseuse, d’une escouade de coquillages vindicatifs, d’une petite brise légère et d’un tapotis cliquetant de crevettes.

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