La carie et le wallaby
(Quelque part vers Anna Bay, NSW, 05-09-2011)
Il avait bien fallu faire connaissance, prendre ses premiers repères et s’extasier un brin. Découvrir les joies de la conduite automatique, aussi. Et sortir sans encombres ni jurons de Sydney, dont la circulation a de quoi coller des sueurs froides à tout automobiliste résidant à Canberra. C’est qu’à part quelques king parrots et parfois un kangourou –ou un wombat, au choix, on ne croise guère de monde sur les routes de notre paisible capitale.
Il avait fallu se perdre un peu dans Newcastle, s’étirer avec bonheur et faire le plein de gherkin relish et de Tim Tam pour la semaine. De viande et de champignons aussi, c’est qu’il faudrait voir à manger équilibré même en vacances. Et puis des chips, tiens.
Il avait fallu se perdre à nouveau en quittant Newcastle, bifurquer enfin sur la petite route menant vers Port Stephens. Et puis il avait fallu guetter, éplucher consciencieusement les panneaux pour trouver, un peu par hasard, la Murray’s Craft Brewery, dont le Lonely Planet nous avait vanté les mérites. Choisir ensuite quelle bière et quel cidre auraient le privilège de s’installer au frais dans notre cuisine itinérante et de partager les discussions du crépuscule tout au bord de l’océan.
Il avait fallu longer l’air de rien et sifflotant innocemment les panneaux interdisant tout camping sauvage en bout de plage, jongler entre l’envie de se poser en bord de mer et l’angoisse de la possible prune, soigneusement relever les emplacements de barbecues et trainer nos guêtres fraichement débarquées de Nelson Bay à Shoal Bay pour enfin choisir un petit bout de parking posé à quelques sauts d’orteils de la plage, tout hérissé de kookaburras et de banksia.
Il avait fallu s’organiser un peu, farfouiller et s’extasier à nouveau, ranger, vider les sacs et faire de Cranky le Redoutable un nid douillet. Et puis inaugurer le premier barbecue des vacances, juger de la cuisson de la viande à la lueur conjointe de la Lune et d’une lampe de poche. Déguster une première bière, blottis dans une couverture sur le sable en grelottant un peu. S’installer enfin, fourbus mais ravis, pour une première nuit à la presque belle étoile, le toit ouvert à la brise, s’endormir bercés par l’impression d’être des aventuriers, les vagues et les gloussements des kookaburras (chez qui c’était fête, apparemment, ce soir-là. La nouba n’est d’ailleurs pas un vain mot chez les kookaburras, comme nous avons pu le vérifier de vive oreille).
Il avait fallu filer sur la plage avant même le soleil, à peine réveillés mais fortement émerveillés (et tout aussi dépeignés) pour guetter le petit jour et le voir s’extirper de l’océan rayon après rayon. Et puis, la prune de Damoclès tintant gaiement au-dessus de nos têtes, réinstaller Cranky en mode vadrouille et reprendre la route fissa.
Reprendre la route, oui, mais il avait tout de même bien fallu s’arrêter une poignée d’instants tout de même pour quelques ablutions matinales et un petit-déjeuner sur le pouce. Suivre une route de terre toute de bosses et de rides, quelque part vers Anna Bay, tout au bord de l’immense dune de Stockton Bight et élire comme salle de bains de plein air un petit coin de dune perdu au milieu des eucalyptus. Reprendre figure humaine en se débarbouillant et en respirant à pleins poumons l’air qui se parait d’écume, d’humus et de soleil.
Et il avait bien fallu réaliser, tout en se brossant les dents, que nous étions finalement bien loin d’être seuls sur ce petit bout de sable verdoyant, tout entourés que nous étions d’une ribambelle de wallabies curieux, mâchonnant pensivement quelques brins d’herbe en guise de dentifrice matinal (c’est qu’apparemment, on ne plaisante pas non plus avec les caries, chez les marsupiaux). Et se regarder dans le blanc des yeux, humains et macropodes, tout barbouillés de mousse mais la dent scintillante et l’haleine rafraichie, fins prêts à attaquer une bien jolie journée de vadrouille pour certains et un boulottage d’herbes en tout genre, ponctué de siestes pour les autres.
Les vacances commençaient à peine et à n’en pas douter, elles seraient belles !