Le veilleur du Pain de Sucre
(Sugarloaf Point, NSW, 05-09-2011)
Au village, tout le monde me connaît. Les vieux pêcheurs qui raccommodent leurs filets une cigarette fichée au coin des lèvres me saluent en souvenir des jours anciens. Les plus jeunes considèrent que je fais partie des meubles. Et finalement, oui, je fais sans doute partie des meubles. Des vieux meubles plus très utiles, qu’on garde parce qu’on ne les remarque plus vraiment. Et puis parce que malgré tout, on les aime bien, ces vieux meubles moulus et couturés de traces de vie accumulées.
Je suis veilleur de phare, comme mon père avant moi, comme son père avant lui. Enfin… J’étais veilleur de phare. Voilà bien longtemps, plus de vingt ans maintenant, que la Fée Automate est arrivée tout au bout de notre péninsule. Je continue à emprunter chaque jour le petit sentier ombragé qui mène du phare à la plage puis au village mais plus personne n’attend le récit des heures écoulées à guetter la houle, les baleines ou les grains. Non, plus personne. A part peut-être quelques touristes qui, fichés sur leur tabouret au bar, sirotant une pinte et cajolant leurs coups de soleil, s’imaginent affronter tempêtes et mer déchainée, vaguement pirates, un peu corsaires ou encore forbans mais héros intrépides sûrement.
Et puis il y a ceux qui viennent rêver quelques heures durant au pied de mon phare, happés par la brise et le murmure si doux et menaçant des vagues qui éclaboussent et sapent les rochers en contrebas. Certains, d’ailleurs, resteront quelques jours. Et moi, le veilleur de phare, je deviendrai alors veilleur de cottage puisque c’est maintenant mon rôle. Oui, c’est dorénavant mon rôle que de prendre soin des apprentis veilleurs qui veulent se perdre quelque moment hors du monde. Il me faut alors leur raconter les jours d’avant, les heures passées à scruter l’horizon, les ballets de baleines et les éclairs soudains, les longues journées brumeuses et les petits matins qui crissent comme la soie. Drôle de coup du sort pour un solitaire, un bougon comme moi…
Et puis la nuit venue, quand mes hôtes auront rejoint l’abri douillet du cottage (c’est que les nuits peuvent être fraîches par ici et ils ne se font en général guère prier pour rester douillettement installés tout au bord de la cheminée), je monterai à nouveau jusqu’à ces escaliers que je connais si bien, ce colimaçon usé de père en fils durant si longtemps pour me lancer, encore une fois, à l’assaut de mon phare, prêt à me battre avec lui contre les éléments. Et j’ouvrirai la porte, je me faufilerai dans la tour et retrouverai mon domaine pour quelques instants. Les narines palpitant de joie à retrouver l’odeur de la lampe, cette odeur si chaude, si riche qui a bercé mes nuits de veille, je saluerai chacune des lentilles, comme chaque soir. Et comme chaque soir depuis vingt ans, je leur confierai les bateaux pour la nuit avant de me retirer. Au petit jour à peine naissant, je serai à nouveau là pour les remercier. Et puis je redescendrai bien vite vers mes hôtes et le village. C’est que je n’ai guère le droit de me glisser ainsi nuit après nuit dans l’abri de mon phare… Mais après tout, n’ai-je pas été veilleur toute ma vie durant ? Que ferais-je sans mon phare, mes vagues et mes baleines qui tissent leur route vers des eaux plus douces ?
Il y a tant de poésie dans un phare !
C’est vrai, ca fait partie des endroits ou se poser pour rever… On a de la chance, il y en a vraiment un sacre paquet en NSW et c’est toujours un bonheur de s’arreter pour regarder les vagues vivre leur vie contre les pierres et imaginer, un peu, la vie des gardiens de phare.