(Springbrook NP, QLD, 07-09-2011)

Le ciel pétillait d’étoiles tintinnabulantes, la brume s’accrochait aux feuilles à peine nées et les bandicoots s’apprêtaient à plier bagage. Ils ne résisteraient plus guère à l’appel pressant du terrier. Les fougères agitaient leurs petites crosses, minuscules poings verts blottis fermement dans un sommeil de point du jour. Les graviers du bord de route s’étiraient et regardaient sautiller les wallabies de poche, hauts comme trois grains de filao. Le soleil chatouillait les sous-bois sans même vraiment y penser, baillant aux lyrebirds, rêvant d’un petit cocon de nuage où poser ses rayons quelques instants. C’est qu’il était rudement tôt et que la nuit avait été bigrement fraîche.

Mais il n’était plus temps de traîner, les premiers promeneurs s’apprêtaient à emprunter le sentier menant à Best of All Lookouts. Déjà, leurs pas résonnaient sur le petit pont craquant. Bien vite, ils s’arrêteraient pour admirer les trois Antarctic beeches, majestueux et moussus vestiges du Gondwana. Il faudrait bien quelques instants pour s’ébahir devant ces troncs couturés d’histoire, collectionnant les années en anneaux biscornus et arborant fièrement leurs cicatrices, issues de générations de tempêtes et de bourrasques. Quelques instants également pour tenter d’imaginer une Australie verte, froide, luxuriante, presque toute entière blottie dans un douillet nid de forêts denses.

Il fallait vraiment se presser, cette fois. Oh oui ! Il était plus que temps de hisser à toute allure ses rayons au-dessus de la brume répandue en rubans moelleux sur la vallée. Le grand ballet matinal était sur le point de commencer. Les arbres perchés en bord de précipice bruissaient gaiement, le ciel aiguisait ses bleus et plaçait au cordeau le moindre petit mouton nuageux. Gare à celui qui se laisserait aller à une rêverie vagabonde ! Les premiers insectes réchauffaient leurs élytres et les oiseaux se gargarisaient, étirant leurs cordes vocales en un grand brouhaha de gammes et de pépiements.

Hop ! Le dernier rayon trottinait à toute allure vers sa place assignée, la brume venait de lisser la dernière de ses écailles et les ruisseaux s’entendaient enfin sur le chant qui serait le leur pour la représentation du jour. Un dernier coup d’œil anxieux vers son costume de lumière, une dernière et invisible poussière éliminée d’un petit geste plein de trac et tous les regards se tournaient vers la plateforme du point de vue. Les quelques feuilles mortes semées toute à la lisière du sentier frappaient les trois coups, le spectacle pouvait commencer. A n’en pas douter, ce matin-là, il serait grandiose !

Les spectateurs repartis, la troupe du petit matin pouvait souffler, se poser au bord des planches et savourer encore une fois le triomphe qui avait été le sien. Ce ne serait, jusqu’au moment de remonter en scène, que rires ravis et récits sans cesse enjolivés, contant sans relâche la réussite de la compagnie toute entière. Avez-vous vu leurs yeux s’écarquiller quand j’ai agité mes feuilles délicatement, dirait le banksia ? Oh ! renchérirait le soleil avec un petit sourire en coin, ce n’est rien comparé à leur tête lorsque j’ai enfin illuminé Mount Warning. D’ailleurs, Mount, tu as été très bien aujourd’hui, aiguisé, imposant, acéré, parfait. La brume rajouterait alors son grain de sel, assurant que son numéro de danse des mille voiles était à n’en point douter le véritable clou du spectacle du jour.

Les taquineries et chamailleries continueraient ainsi longtemps, comme chaque jour, comme depuis si longtemps, avant même que les graines des trois Antarctic beeches n’envisagent seulement de germer, depuis un temps si ancien que personne ne s’en souvient très bien. Un temps où un hasard quelconque et quelque peu farceur avait décidé que ce petit coin de Queensland serait le plus beau des points de vue et qu’il aurait donc besoin de toute une bande de joyeux drilles pour prendre soin de son nom.