Once upon a bridge
A Narrandera, tout au bord de la Sturt Highway, il y a un vieux pont qui regardait autrefois passer les trains. Les traverses ne tiennent plus très bien debout, les piles tremblotent un peu lorsque la brise souffle en rafale et les rails se sont dentelés de rouille en piquetis. Il y a bien longtemps que les trains l’ont délaissé, préférant d’autres ponts plus pimpants et moins craquants.
Depuis, il regarde passer les road trains et pousser les graminées en bord de route. Il a beau bougonner et craquer de désapprobation, il aime bien observer le ballet incessant de la highway. Oh ! il ne l’avouera jamais mais il trouverait même presque ce nouveau spectacle plus réjouissant que ses trains. C’est que les trains de marchandises, quand on en a vu un, on les a tous vus.
Parfois, il raconte aux eucalyptus qui l’entourent sa vie d’avant, de grand pont célèbre, cette vie qu’ils n’ont pas pu connaitre, ayant poussé trop tard. Il radote un peu, s’invente des aventures immobiles haletantes, pleines de cyclones, de dangers et de déraillements évités in extremis grâce à son incroyable dévouement de pont hors du commun. Tout absorbé qu’il soit par ses contes du temps jadis, il ne manque jamais de s’arrêter pour admirer un autre de ces road trains qu’il s’interdit d’apprécier à voix haute. C’est qu’il a sa dignité de vieux pont retraité des chemins de fer, tout de même. Et tant pis si tous ceux qui l’entourent ne sont pas dupes, il continuera à hausser les traverses d’un petit air blasé, soupirant et grommelant à chaque coup de klaxon, cachant malicieusement le bonheur qu’il ressent à saluer le passage de ses road trains sous une couche épaisse de ronchonnements grincheux, en bon vieux pont grognon qu’il est.
superbe photo !
Merci ! Et bienvenue chez nous, Babzy.