La triste histoire du pauvre petit bush toilet

(Manque plus que la pelle et on est parés, Lucette !)

Six heures du matin sur un parking de motel, quelque part au beau milieu de la Namoi Valley. Le thermomètre affiche 28 degrés et se fend d’un petit rire sadique : la journée sera longue, très longue. Et caniculaire, très caniculaire, plus que très caniculaire même, parole de mercure. Les mouches du coin s’en donnent déjà à cœur joie : de la chair fraiche tout juste débarquée de la capitale, ça ne se refuse pas !

Avant de filer retrouver ce qui sera notre terrain de jeux pour les quatre jours à venir, ultimes vérifications. C’est qu’il faudrait voir à ne pas oublier le moindre accessoire de nos costumes de lumière notre équipement de durs à cuire :
Sunnies ? Checked !
Sunscreen ? Checked !
Spray anti-moustiques ? Checked !
Chapeau de bushman ? Checked !
Chemise à manches longues avec respirations incorporées ? Checked !
Pantalon de toile épaisse que même un brown snake gros comme un porcelet s’y ébrècherait les quenottes ? Checked !
Boots de compétition pour cocooner les chevilles et (tenter d’) éviter toute embardée dans la boue ? Checked !
Trousse de secours, stylos, marqueurs indélébiles, calepins, sacs en tout genre, outils divers, glacières et bonbonnes d’eau ? Checked !
Courage et motivation ? Presque checked !
Nous voilà parés ? Nous voilà parés !
Tout un chacun s’apprête à lever le camp lorsqu’une main se lève, demandant quelques minutes d’attention afin de réparer un oubli aux conséquences potentiellement dramatiques. Ah. Bon. On aurait oublié un truc important ? F… ! Mais quoi ? Les regards s’échangent, mi-anxieux, mi-incrédules. C’est que ça fait une trotte, 800 kilomètres pour réparer un oubli. T’es vraiment sûr de toi ? Ben oui. Il va faire chaud, très chaud et on a une lady avec nous (ronchonnements sous cape de ladite lady présentement occupée à fixer une machine sur une remorque en jurant comme un charretier) . Alors il faut bien penser aux commodités d’usage. Heureusement, il y a pensé, lui. Et il a donc apporté un bush toilet chimique pour pallier à ce problème. Bon, il a fallu se débarrasser de la roue de secours pour faire rentrer ledit bush toilet dans le coffre mais c’est pas bien grave, finalement (échange de regards consternés).

NDLaGB : c’est vrai, quoi, au beau milieu de nulle part, une roue de secours, ce n’est pas franchement utile. Et puis, on va pas en faire un pot de Vegemite non plus, hein, quoi !

Après cette entrée en matière fracassante, c’est l’heure de la démonstration. Car oui, le bush toilet n’est pas facile à apprivoiser et ne se laisse pas approcher sans un minimum de précautions. C’est donc tout un tourbillon de poignées à tirer ou à pousser, de boutons à enclencher ou déclencher, de manettes à tourner dans ce sens et pas dans celui-ci, à moins que ça ne soit l’inverse, attendez un peu que je vérifie et autres manipulations diverses, variées et quasi-ésotériques à réaliser qui sont déversées en vrac sur le parking sous le regard goguenard des routiers prêts à partir. Dans l’auditoire qui se remet enfin de sa sidération première, d’aucuns sifflotent en se mordillant les lèvres pour ne pas éclater de rire tandis que d’autres mâchonnent les remarques acerbes qui affluent par douzaines. Après dix minutes de monologue, alors que s’éternise la description par le menu des moindres problèmes que peut rencontrer un usager de bush toilet tête en l’air ou trop pressé, une question fuse : « Ca ne serait quand même pas beaucoup plus simple de se planquer dans un coin et d’utiliser une pelle ? ». Fou rire général et mine déconfite du maitre es latrines qui se perd en bafouilles. Pas de doute, c’est l’heure de lever le camp !

Deux heures de l’après-midi, au beau milieu de nulle part et de la Namoi Valley. Pas un arbre à l’horizon, pas la moindre miette d’ombre à des kilomètres à la ronde. Le thermomètre, fidèle à ses promesses, dépasse allégrement les 43 degrés. Les mouches ne savent plus où donner de la tête tant le festin est monumental, l’air tremblote au-dessus du sol, la démarche se fait titubante et les jambes flageolantes. Le bush toilet et sa petite tente de courtoisie ont été montés par un propriétaire un tantinet grognon car vexé comme un morpion pou, à très précisément trois mètres, cinquante deux centimètres et six millimètres du camp de base. Camp de base où tout le monde s’échoue régulièrement entre deux batailles livrées aux mouches, au soleil et aux échantillons peu conciliants pour boire, boire, boire encore, souffler quelques instants à l’ombre d’une bâche, boire encore un peu et tâcher de faire baisser un peu sa température corporelle. De quoi garantir une intimité phénoménale à qui aurait l’idée farfelue de vouloir évacuer quelques précieuses gouttelettes de liquides quelconques*…

Six heures de l’après-midi, toujours au beau milieu de la Namoi Valley et de nulle part. Aucun arbre n’a daigné se rapprocher, l’ombre reste une denrée rarissime et plus que prisée. Le thermomètre a généreusement concédé trois petits degrés et des éclairs de chaleur zèbrent l’horizon sur lequel des familles entières de nuages d’orage se sont données rendez-vous. La nuit risque d’être arrosée. D’ailleurs, le vent se lève et il ne manque pas de souffle. Les mouches plient bagage et la tente de courtoisie du pauvre bush toilet en fait autant, le laissant fort dépourvu lorsque la bise fut venue. La fatigue aidant, le fou-rire prend des allures de trainée de poudre et c’est en écrasant des larmes de rire que ladite tente finit par être rattrapée et fourrée sans ménagement dans une boite qui passait par là. Et c’est donc ainsi que le pauvre petit bush toilet finira sa grande aventure d’accessoire indispensable pour le terrain et passera le reste de la semaine à se morfondre au fin fond d’un coffre lugubre, dédaigné et moqué par l’affreuse brochette de boit-sans-soif maculés de terre, de sueur et de poussière qui auraient pourtant dû lui être si reconnaissants et, pire encore peut-être, nargué par une vulgaire pelle ayant soudainement pris du service et du galon.

*pour cette seule journée particulièrement chaude, à neuf courageux assoiffés, plus de 60 litres d’eau auront été descendus (sans même parler de la quantité de liquides divers ingurgités le soir venu), ce qui n’aura pas empêché trois coups de chaleur, malgré moult précautions. Qui a dit qu’il ne faisait pas forcément si chaud que ça en Australie ?

2 thoughts on “La triste histoire du pauvre petit bush toilet

    • lagrandeblonde Post author

      Ca aurait ete rudement bien, en effet ! Pour la prochaine fois, peut-etre… Une petite piscine gonflable et hop ! le tour est joue !

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