Des bulles dans le désert

(Wabma Kadarbu Mound Springs, South Australia, 27-12-2011)

Sur la route de William Creek, lacs de sel, dunes écarlates et lambeaux d’argile craquelée se parsèment de quelques maigres brins d’herbe coriace et de buissons craquant de soif. L’air s’emmitoufle dans des écharpes de poussière et le désert déploie ses lents tentacules à perte de vue, embrassant l’horizon et se répandant en longues vagues vibrant de chaleur. Le sol crisse sous les pas, brûlé, tanné, blanchi, éreinté par l’interminable valse du soleil et du vent sur son dos.

Vers Coward Spring, le monde prend des allures de Lune, blanc nacré,  tissé de minuscules cratères qui se blottissent les uns contre les autres en rangs serrés. Il suffit alors d’un léger virage vers la gauche, tout au milieu de cet immense vide empli de vie, d’une barrière à ne pas oublier de refermer et de quelques cahots laissant la piste principale derrière soi pour se perdre sur des traces laissées là il y a quelques siècles ou quelques millénaires par une tribu aborigène, un aventurier catapulté soudain bien loin de son Europe natale ou un pionnier du Old Ghan.

Et puis, nés d’un grain de sable, d’un rocher ou d’un mirage, on ne sait, ils surgissent soudain sur l’horizon, les orgueilleux, les somptueux mound springs de Wabma Kadarbu, ces trois majestueux pitons étirant fièrement leurs silhouettes, élançant follement leurs ombres jusqu’au ciel, pressant le visiteur de constater, émerveillé, leur statut si envié de seul relief à des kilomètres à la ronde. Il n’y a que le vrombissement des mouches, le sifflotement du vent qui saupoudre son passage de grains de sable et de sel. Et comme un murmure infime, un chant qui dit l’eau sautillante et trottinante, un fredonnement qui tient de la berlue, ainsi perdu au fond d’un abîme de dunes arides.

Et puis il y a ces quelques planches de bois, usées, lissées, ces planches qui mènent à la fois au sommet et dans le passé, toutes pétries qu’elles sont de souvenirs, toutes occupées qu’elles furent il y a près d’un siècle et demi de cela à bâtir l’Overland Telegraph, la ligne télégraphique reliant Port Augusta à Darwin. Ces planches qui ondulent entre les grains de sable avant de se frayer un chemin au beau milieu de buissons exubérants et d’un glouglou qui s’amplifie à chaque pas. Quelques mètres encore et le sommet, émoussé par les caresses millénaires du vent, s’offre à la vue, dévoilant un cours d’eau pétillant et virevoltant, qui se répand en gouttelettes d’un bleu vif, peignant ses abords de vert émeraude avant de se perdre, rieur, quelque part entre le ciel et le sable.

Quelques pas encore et le chuchotis des gouttes filant follement laisse place aux clapotis d’un bubbler qui bullotte à petits bouillons, brassant placidemment son matelas d’argile et de feuilles, petit morceau du Great Artesian Basin qui souffle, ondule et s’ébroue gaiement au beau milieu du désert immense, solennel et éblouissant. Un couple d’oiseaux s’abreuve de roucoulades et le vent se fait brise pour effleurer les délicats pétales des quelques fleurs qui poussent étamines en tête, célébrant, obstinées, ce petit bout d’oasis perdu au cœur d’un océan de sable et de sel. Ce petit bout de géologie étrange et fascinant où l’on pourrait oublier le monde et le temps pour ne plus s’accorder qu’au rythme lent des bulles qui bourgeonnent et s’éparpillent en cercles concentriques et indomptés à la surface d’un bassin multimillénaire.

2 thoughts on “Des bulles dans le désert

  1. Isa vulli

    Je crois que je suis tombée sur le blog d’une grande blonde férue de littérature… merci pour ces descriptions lyriques ! Mon fils est sur cette route en vélo, et j’aime parcourir les blogs pour partager un peu de ce qu’il peut vivre en ce moment….
    Bonne continuation à vous !
    Isa

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    • lagrandeblonde Post author

      Bienvenue chez nous !
      A velo sur les routes australiennes ? Mazette ! C’est genial, comme projet, il va falloir nous raconter ca…

      Reply

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