Drowning in the fear?

(Les jambes allongées au soleil, on ne parlait pas vraiment avec Charlie…)

Un soir de printemps. Un soir de printemps qui sent bon l’été tout proche, un soir de printemps 1997. Un lundi soir.

Un lundi soir de printemps quelque part au nord de Marseille, dans un lycée melting-pot. Un soir de répétition de théâtre. La première est pour bientôt, l’année touche à sa fin.

Un soir de répétition dans la salle de théâtre du lycée. Il est dix huit heures, les couloirs se sont presque vidés. Roberto Zucco vient d’arriver, la gamine le suit de près. La pute, le frère de la gamine et puis sa sœur aussi, les badauds, les flics, un autre Roberto Zucco, ils sont tous là.

Ils sont tous là, chargés de leurs personnages mais aussi et surtout de leurs espoirs, de leurs racines, de leurs différences, de leurs ailleurs. Ils sont tous là et c’est au moins trois continents qu’ils ont emmenés avec eux, une multitude d’accents, de traditions, de souvenirs. Toute une palette d’origines et de vécus rassemblés autour d’une même passion pour la scène. De cette passion qui fait rester tard au lycée, tant pis pour le bus qu’on ratera, tant pis pour les copains, tant pis pour le reste. Cette passion qui les fédère, eux et monsieur C., monsieur C. qui sait si bien leur faire toucher du doigt les merveilles du théâtre contemporain. Monsieur C. qui leur fait découvrir le théâtre engagé, un théâtre qui ne soit pas que divertissement, un théâtre qui se fasse réflexion. Un théâtre porteur de luttes et d’espoirs, un théâtre qui revendique et qui proteste.

Un soir de répétition dans la salle de théâtre du lycée. Le ciel est clair, les baies vitrées laissent entrer des rayons de soleil délicieusement tiédis. Les textes sont inscrits sur le bout des doigts, sur la pointe de la langue, les livres sont empilés dans un coin de la pièce, il n’y a plus d’hésitation, il n’y a plus que le plaisir de jouer.

Ce jour-là, pourtant, ce soir-là, il n’y a pas de plaisir de jouer. Il n’y a même pas de jeu du tout. Monsieur C. était déjà là quand le premier apprenti comédien a poussé la porte. Il était là, le visage défait, la mine grave, loin, si loin du monsieur C. si enjoué, si prompt à s’enthousiasmer, à s’enflammer. Chacun est arrivé, les trois Roberto Zucco, la pute, la sœur de la gamine, les flics, un dealer puis l’autre, le frère de la gamine, la gamine. Le cœur lourd. Le cœur au bord des lèvres.

Il n’y aura pas de répétition ce soir-là. Il n’y aura que des questions, des ébauches de réponses, des pourquoi ? et des c’est pas possible ! ponctuant les conversations, une incompréhension douloureuse, une tristesse matinée de colère. Ce soir de printemps 1997, Vitrolles vient de tomber aux mains du FN. Comme Marignane, Toulon et Orange deux ans auparavant. La stupeur les a tous pétrifiés. Comme cela était-il possible ? Comment une autre ville pouvait-elle ainsi passer à l’extrême-droite alors même que chacun connaissait la teneur des mesures mises en place dans les trois villes tombées en 1995 ?

Chacun voulait croire, perdu dans son désarroi, qu’il ne s’agissait que d’un hoquet terrible, qui ne resterait qu’un hoquet, qu’un soubresaut isolé qu’il faudrait voir à soigner bien vite. Chacun espérait, croyait dur comme fer, du haut de ses quinze, dix-sept ou dix-huit ans, que cette danse avec l’extrême ne serait que passagère, tout juste un coup de tonnerre dans un ciel plutôt dégagé. De ces coups de tonnerre qu’on garde en mémoire comme arrivant exceptionnellement, de ces coups de tonnerre dont on se souvient en frissonnant tout en sachant qu’ils ne reviendront pas de si tôt. Parce qu’il n’était pas possible que ce soit autrement. Non ?

Las. Les années ont passé, quinze ans, tout doucement, et il semblerait bien que le hoquet n’en était pas un. Il semblerait même que les coups de tonnerre soient de plus en plus fréquents. Et il semblerait qu’on ne s’en inquiète même plus vraiment.

Et il y a une tristesse terrible, une tristesse dévorante à se retourner pour murmurer au souvenir des apprentis comédiens d’il y a quinze ans que si, il était possible que ce soit autrement. Il y a une telle tristesse, une telle incompréhension, une telle nausée même qu’il en devient impossible de regarder dans les yeux ces adolescents pleins d’espoirs. Comment leur avouer que, quinze ans après ce coup de semonce, près de 20% de leur pays se laisserait charmer par les sirènes du parti de la haine ? Comment annoncer à Karim, Florence, Didier, Karim, Abdelkader, Ingrid, Arnaud, Jun, Céline, Julien, Awa, Betty, Clément et tous les autres que quinze ans après leur éveil brutal à la vie politique, l’impensable deviendrait réel ?

Il est loin, bien loin, ce lundi soir de printemps 1997. Mais en ce lundi soir d’automne 2012, le goût amer de l’incompréhension, de la colère et de la peine mêlés est le même. Exactement le même, ce goût que l’on aurait aimé ne jamais connaitre, ne plus jamais connaître à nouveau. Ce goût terrible qui dit la peur et la haine de l’autre.

9 thoughts on “Drowning in the fear?

  1. petitann

    Des larmes, incompréhension, colère, tristesse … putain mais vivre ensemble c’est une chance, on peut pas arrêter de penser à nos poches. Je sais bien que les temps sont difficile, mais peut-être qu’il va falloir penser à vivre autrement face à la crise, et ensemble.
    Désolée j’ai récidivé pour le coup de colère
    Merci pour ton poste

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  2. Ampelopse

    J’espère que l’AMER-tume de ce post cèdera de nouveau la place à vos jolies balades, votre plume légère, et vos découvertes en tout genre…
    Je pensais me changer les idées en allant vers vous en Australie… tout comme j’ai évité le cours de gym d’aujourd’hui…raté! Je pense que la politique quelle qu’elle soit peut gacher le moments d’évasion quotidiens dont nous avons tous besoin…

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    • lagrandeblonde Post author

      On revient a l’Australie ce soir, oui, promis. Avec la reponse au Kekesse, en plus!
      Pas d’amertume, plus une immense tristesse. Ca n’a pas ete un choc et c’est bien le probleme, il devient banal de voir les scores du FN s’envoler. Et vu de l’exterieur, c’est encore plus effrayant, plus terrible.

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      • Ampelopse

        Si je peux répondre objectivement à ça: je me rends compte depuis les retransmissions des journaux télé du monde entier que la montée du FN est arrivée comme une véritable bombe émotionnelle, et c’est normal, mais si je peux me permettre une modeste analyse de ce qui se passe réellement, en tenant compte des témoignages perçus et des gens qui m’entourent (je suis en milieu rural) je pense qu’il ne s’agit pas là de haine raciale telle qu’elle était organisée du temps du père de madame, mais bien d’une sorte de protectionisme sur l’avenir, des valeurs de la France telles qu’elles se perdent dans les méandres Européens et Mondialistes, et dont les milieux ruraux, bien ancrés dans leur patriotisme ont besoin.
        Elle a en effet fait de gros score dans les milieux ruraux, et inédits dans des petits villages de moins de 1000 habitants ou il n’y a que peu d’insécurité… Je ne veux pas dire que ce n’est pas inquiétant, je veux juste essayer de remettre certaines choses à leur place dans un contexte politique qui a appelé a ce choix…c’est un choix! Je vais peut-être m’attirer des ennuis…mais je pense que les gens qui ont voté FN, en ont marre de Sarko, et n’ont pas confiance en Hollande…il y avait d’autres choix…plus durs à assumer…et pour tout dire…j’ai assumé, et j’ai perdu!
        Donc, il faut savoir raison garder…les extrêmes sont loin de faire l’unanimité!
        Pardon d’avoir pris toute cette place!

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        • petitann

          Malheureusement le protectionnisme est la source des grands conflits … et quand on parle de devoir de mémoire on oubli d’ajouter à la haine racial, cet élément des fois plus difficilement compréhensible.
          C’est triste.

          Et l’idée qu’elle serait plus soft que son père … pour moi c’est le contraire.

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        • lagrandeblonde Post author

          Pas de souci, au contraire !
          C’est une analyse qui me semble juste mais qui n’enleve rien a la dangerosite du programme du FN. Il y a une serie de blogs que je suis avec beaucoup d’attention. Depuis dimanche, il y a des temoignages de gens qui ont vote FN et c’est extremement (c’est le cas de le dire ^_^) interessant de lire pourquoi ils ont fait ce choix, quelles sont les raisons qui les ont menes a choisir ce bulletin-la et pas un autre. Parce que oui, ca reste un choix. Meme s’il me remplit d’effroi.

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          • Ampelopse

            Merci, j’avais un peu peur de « dépasser »!
            Et pour finir, je pense même sournoisement, que beaucoup de gens n’ont même pas lu le programme!
            Allez…il faut nous faire repartir en balade siouplait!

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