Des vaisseaux pour des lanternes

(Lakes Entrance, VIC, 06-04-2012)

A Lakes Entrance, au petit matin de Good Friday, il y a un cygne qui couve ses œufs en bord de plage, le cou amoureusement penché vers les coquilles de ses rejetons à venir. Et puis il y a des mouettes qui suivent les bateaux tout juste rentrés au port, espérant glaner quelque menu fretin à se caler sous le bec. Il y a des cavalcades d’enfants sur la jetée, petits pieds qui martèlent vaillamment les planches vermoulues, bien décidés à gagner la course du jour. Qui sait si le grand vainqueur ne se verra pas attribuer un petit rab’ de chocolat ? Il y a aussi les parents, qui ne courent pas mais se pressent tout de même. Il faudrait voir à ne pas se faire piquer ses crevettes et ses fruits de mer… Il y a des conversations de petit matin, les yeux encore un peu brumeux, le sourire ravi de ces quelques jours de grand week-end qui débutent à peine.

Il y a les chargements de crevettes, les fruits de mer tout juste pêchés, les balances un peu rouillées qui couinent sous les sacs et les poids. Il y a les crevettes, encore elles, qui s’essaient à la fuite effrénée, toutes antennes dehors, au moment de l’ensaucissonnage dans deux épaisseurs de papier huilé et de l’enturbannage dans trois longueurs de ficelle. Il y a les gestes sûrs, rapides et élégants des marins, les plaisanteries échangées en voyant les gourmands s’aligner impatiemment à la poupe  et la cargaison réduire comme neige au soleil.

Il y a les filets qui dégouttent en flocs, flics et flacs rythmés, tout festonnés d’algues en dentelle. Il y a les flotteurs qui pétillent de rouge, de vert, de bleu et puis de jaune. Il y a les hameçons qui brillent au soleil tout frais et la coque qui se reflète dans l’eau du port, un peu fripée, un peu incertaine, un peu floue, un peu troublée par les petits poissons qui scrutent la surface d’un œil curieux. Et puis il y a les lanternes, ces grosses lanternes qui tintent sous la brise, un peu bleues, un peu rouges, un peu rouille aussi, parfois un peu vertes, toutes alignées et toutes pimpantes. Et c’est joli de les imaginer s’illuminer tout d’un coup, perdues au milieu de l’océan. Si joli qu’on s’imaginerait presque un instant moussaillon de pacotille le soir venu, afin de bayer aux lanternes en guettant les crevettes.

Et puis une fois revenu de sa rêverie, le soleil haut dans le ciel, il y a un chai latte siroté sur le port, à écouter les lorikets se chamailler et à éplucher une fois de plus le road atlas. C’est doux de débattre sans fin à l’ombre des palmiers, les orteils en éventail et en vacances, bercés par le ronronnement des vagues. C’est qu’il y a une sacrée décision à prendre : Grand Ridge Road ou South Gippsland Highway ? Pistes montagneuses et cahoteuses ou points de vue de bord de mer ? A votre avis, qui l’a emporté ?

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