Sous le sable volant
(Collingwood Beach, NSW, 01-09-2012)
Le soleil ose un orteil frileux dans l’océan, tout au bout de l’horizon. Il grelotte un peu, secoue ses rayons, se fend d’une petite moue et puis hausse les épaules. C’est qu’on l’attend de l’autre côté du monde, il faudrait voir à ne pas être en retard, tout de même.
Au premier rayon prudemment glissé dans le Pacifique, la plage frémit. Les filaos frissonnent, le vent se lève et les coquillages étirent scrupuleusement leur coquille. Les vagues se font plus douces aussi. Elles s’arrêtent, dansantes et immobiles tout en haut d’une crête minuscule, retenant leur souffle le temps d’un instant, avant de se glisser tout contre le rivage en un long chuchotement pour mieux se lover contre les grains de sable qui s’égrainent, s’égaillent et s’éparpillent.
Bientôt, le vent se fait plus sûr, le souffle soutenu, enhardi, conquérant. La citadelle de sable qui surplombe Moona Moona Creek de sa superbe et de ses quelques centimètres gagnés de haute lutte tremble, soupire et chavire. Les quelques algues semées de-ci, de-là par les vagues téméraires du petit matin s’arc-boutent, se tordent et protestent, les pieds enracinés entre quelques grains de sable. Les coquillages s’organisent en armées minuscules, poing serré levé bien haut. Quelques autres, déjà renversés, tombés au champ du vent, gisent là, armures de rien abandonnées au temps, froissées par un promeneur immense et invisible. Les filaos s’agitent, brandissant leurs aiguilles comme autant de piques véhémentes, comme autant de piquelettes inoffensives et caressantes qui s’affirment menaçantes et se voudraient impressionnantes.
Le sable s’élance en colonnes brassées par la brise. Il soupire et siffle, parcourt quelques mètres puis tourbillonne soudain tout contre l’écume. Il repart bien vite, bondit, rebondit et bondit à nouveau. Il court, tapis pressé filant au ras du sol. Il se dépose et s’élance à nouveau, farine de plage voletant follement, passée au tamis stridulant du vent.
Tout près, un huitrier pie fronce le sourcil, roule un œil rond, rond, rond, bordé d’orange, ourlé de noir et de circonspection. Doit-il prendre parti ? Faut-il choisir le camp du vent débordant ou du sable mécontent ? Les coquillages frissonnants ou les vagues clapotantes ? L’algue ou le poisson ? De dépit et de peur d’être sommé de choisir sans plus attendre, il s’éloigne à petits pas vers de moins poissonneuses mais plus reposantes criques.
Le soleil a filé, parti vers ses nouvelles journées par-delà l’océan. Le crépuscule étend ses bras, effleure du bout des doigts les collines et les forêts qui se pressent en bord de creek. Les oiseaux se murmurent des vœux de bonne nuit et posent une tête sous l’aile, un léger soupir de contentement perdu au coin du bec. Les coquillages étirent leurs ombres et le sable volant saupoudre feuilles, algues, murailles frémissantes et coquilles abandonnées à petites pincées délicates. Le vent s’apaise, les filaos renoncent à leurs envies guerrières et entonnent, les aiguilles encore fébriles et frémissantes, quelque berceuse chantonnée depuis la nuit des temps. De ces berceuses qui font faire des rêves jolis aux oiseaux qui sommeillent non loin. De ces berceuses qui accrochent des étoiles là-haut, tout là-haut, au-dessus des branches qui bercent leurs palmes. De ces berceuses de branches qui disent la nuit presque arrivée, la vie si douce tout au bord de l’océan. Mais aussi (et surtout ?) ces berceuses qui annoncent l’heure de l’apéro arrivée…