[Retour vers l'outback #22] Les biquettes, la piste et le complot

(Mungo NP, NSW, 10-10-2011)

Ce matin-là, Mildura avait triste mine. La ville alignait ses trottoirs en une longue rangée maussade, pâle et grise d’un lendemain de soirée trop arrosée. Le ciel aussi avait sa tête des mauvais jours. Il grognait un peu dans le lointain et fronçait des nuages d’un air menaçant. La piste menant à Mungo NP n’était pas en reste et avait déployé la panoplie complète d’un petit matin chagrin : flaques, nids de poules, boue et ravines s’étaient répandues en chemin comme la Vegemite sur une tartine beurrée. Qu’importe ! Parapluies, pulls et imperméables avaient été soigneusement glissés dans les bagages, il faudrait plus qu’un ciel menaçant et une piste peu engageante pour entamer la bonne humeur régnant dans la voiture. C’est que, tout de même, ce n’est pas tous les jours qu’on est sur le point de visiter un parc national classé au Patrimoine Mondial de l’UNESCO. Foin de nids de poules, haro sur les flaquelettes, ne faisons pas attendre plus longtemps Mungo Man et Mungo Lady.

Quelques kilomètres plus tard…

- Gaussons-nous gaiement ! Ha ! Il n’y a pas à dire, voilà bien des éléments qui manquent cruellement d’imagination pour nous empêcher de visiter en rond… Roulons, roulons, amour et nous arriverons bientôt aux abords de Mungo Lake et du Walls of China. Roulons, roulons, amour et admirons les biquettes qui bondissent légèrement en bord de route. Roulons, roulons, amour et…
- Pschiiiiiit !
- Hum ? Plait-il ?
- Pschiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiit…
- Comment ca, pschiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiit ?
- Pataclop, pataclop, pataclop
(coup d’œil nerveux dans le rétroviseur)
(bordée de jurons que la décence nous empêche de retranscrire ici)
(petit ricanement sadique des biquettes qui sont arrivées à leurs fins et ont filé bien vite se planquer dans les fourrés)
(claquage de portières en chœur)
(soupir intense)

Kroket git sur le flanc, un pneu réduit en dentelles. Plus un chat une biquette à l’horizon, pas l’ombre d’une voiture, pas le moindre soupçon de réseau téléphonique… Et une soudaine angoisse : elle est en bon état, au moins, la roue de secours, dis ?

Un grand soulagement et quelques jurons supplémentaires (le cric et ses descendants ont été maudits sur moult générations et il leur a même été suggéré d’aller sans plus tarder retrouver leurs aïeux afin de procéder à quelques ébats que la morale réprouve ardemment), notre vaillant destrier avait retrouvé son assiette et filait à nouveau réservoir à terre. L’œil se faisait plus attentif et les biquettes n’attiraient plus guère de petits regards chargés de tendresse. L’heure tournait et nous maudissions en canon cette &^$#@!% de pièce de métal qui s’était jetée sous nos roues : c’était cuit, la visite de dix heures partirait sans nous*… Adieu, Mungo Man et Mungo Lady ! Nous ne verrions rien du Walls of China, rien de ses sculptures d’argile et de sable, rien de ses sites archéologiques, rien de ses souvenirs de 40.000 ans d’habitation humaine. Scandale et marmelade !

Bientôt, dix heures sonnaient et nous nous avouions vaincus. Les biquettes avaient gagné. Il fallait cependant bien continuer à avancer, hors de question de rester plantés là tels une triplette de harengs saurs. Quelques kilomètres encore, quelques cahots, une éolienne, deux émeus et voilà le centre des visiteurs… Un sprint ventre à terre plus tard, non, la visite n’est pas encore partie et oui, il reste des places. Ca vous dirait ? Et comment que ça nous dit !

Et c’est ainsi que nous sommes partis pour deux heures et demie de visite hors du temps, presque sur la Lune, il y a 40.000 ans, à toucher du doigt les forêts, les lacs et la mégafaune australienne qui y couratait et sautillait alorsavec insouciance. Le ciel s’était découvert une nouvelle passion pour le bleu pétillant et avait jeté ses nuages lourds aux orties. Et c’était beau, tout simplement, incroyablement, sauvagement beau.

Et vlan, dans les quenottes, les biquettes !

* deux visites par jour (10 heures et 15 heures, AUD 10 pp.) sont assurées par les rangers du Mungo NP. Et ce sont les seules visites qui permettent d’aller sur le Walls of China. Walls of China qu’il serait très dommage de rater, foi de Chercheurs d’Oz !

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