La mer qui brille dans l’automne parfait

(Cuttagee Lake, NSW, 22-03-2014)

Il y a de cela quelques mois (au moins tout ça, vu qu’il y avait encore des feuilles sur les arbres et que le chauffage n’était encore qu’une lointaine menace) (las, depuis, le froid nous a rattrapé) (et nous voilà cernés par la neige) (tout à fait, cernés) (pensez donc, les collines entourant Canberra ont poussé le vice jusqu’à se saupoudrer de flocons il y a dix jours) (et il y avait suffisamment pour que d’aucuns fassent des bonhommes de neige, the horror) (bon OK, ça n’a pas tenu deux jours) (mais quand même) (soit dit en passant, le Canberrien a une drôle de coutume qui consiste à installer un mini bonhomme de neige en neige sur le côté gauche du parebrise) (et à le regarder glisser irrémédiablement par-dessus bord dès le premier virage un peu serré) (sans oublier de lui faire un petit signe triste de la main, façon « au revoir, Edgar, on t’aimait bien) (il faut le savoir, tous les bonhommes de neige de coin de pare-brise s’appellent Edgar) (au moins à Canberra, en New South Wales, on ne sait pas) (on ne sait pas non plus si cette coutume a cours dans d’autres régions avoisinantes et enneigées) (on soupçonne d’ailleurs ces bonhommes-là d’être, plus qu’un simple jeu de vacances d’hiver, des offrandes à Clive Palmer à la carbon tax aux esprits de la météo) (on mène l’enquête, promis) (et on en profite pour déclarer la fin des parenthèses) (pour l’instant),

Il y a donc de cela quelques mois, un beau samedi matin tout craquant de frais, nous sommes partis nez au vent et étudiants en remorque direction la côte sud de New South Wales, dans un de nos (très) nombreux coins préférés (plus le temps passe, plus on s’aperçoit qu’on a le cœur d’artichaut bien ancré dès qu’il s’agit de vadrouiller). On a bien évidemment respecté scrupuleusement la liste des z’arrêts z’incontournables (Pipers’ Lookout en tête). D’autant plus scrupuleusement qu’avec deux jeunes padawan en guise d’invités d’honneur, il fallait bien faire un peu de zèle touristique (une excuse en bois quelque peu bancale se cache dans cette phrase, saurez-vous la retrouver ?)…

Et c’est ainsi qu’en se dirigeant d’un pas de sénateur rhumatisant vers Narooma (la faute, bien entendu, aux deux padawan sus-cités) (si, si, si, parfaitement), nous nous sommes arrêtés une fois de plus au bord de Cuttagee Lake. Et une fois de plus, la magie a opéré. Est-ce le vieux pont vermoulu tout embrassé de rouille ? L’aigle qui semble toujours là, fidèle au rendez-vous ? Les coquillages toujours un peu plus brillants qu’ailleurs, peut-être ? Le souvenir d’un premier émerveillement il y a trois ans et demi ? La marée qui dessine sans relâche de nouveaux continents de sable ? Le ciel toujours un peu plus grand, la mer toujours un peu plus belle avec au loin, si loin, l’ombre invisible d’une autre terre ? Les black cockatoos et leurs chamailleries sans fin ? Les falaises minuscules de sable qui refusent de céder d’un pouce face à la marée ? Les crabes mini-pouces aux pinces belliqueuses ? Les camper-van qui semblent traverser le pont comme on s’engage dans une carte postale ? Ou bien un peu de tout ça à la fois ?

On ne sait toujours pas trop bien. Mais peut-être, après tout, que la raison importe peu… Peut-être bien même qu’on n’a pas vraiment envie de chercher à savoir. Tant qu’il reste toujours cette petite étincelle de magie blottie là-bas, à guetter notre prochain passage.

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